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12plantes odorantes Ă  adopter pour crĂ©er un jardin de senteurs. JARDIN - Rosier anglais, clĂ©matite, Sarcococca voici notre sĂ©lection de plantes Ă  cultiver pour un jardin qui sent bon, aux effluves agrĂ©ables. AprĂšs les derniĂšres gelĂ©es, le mois de mai est la pĂ©riode idĂ©ale pour commencer les plantations. Lalavande ira Ă  merveille avec la personnalitĂ© rĂȘveuse des poissons. Les Balances, n’auront d'yeux que pour une belle orchidĂ©e. Les sagittaires, les vrais baroudeurs du zodiaque, apprĂ©cieront le tillandsia pour son cĂŽtĂ© autonome. Choisissez une espĂšce qui correspond Ă  votre routine et Ă  votre personnalitĂ© ! PourĂ©viter que les feuilles ne brunissent, vous devez arroser votre plante plus souvent. 14 /15. Un champignon. La maladie la plus frĂ©quente est le phytophthora. C'est un champignon qui peut ĂȘtre Ă  l'origine d'un jaunissement ou d'un brunissement des feuilles de votre plante. Vous devez alors aĂ©rer le sol. 15 /15. SĂ©lectionde plantes et arbustes pour un jardin parfumĂ© toute l'annĂ©e. Mahonia, hamamĂ©lis, clĂ©matite, lilas, glycine 12 plantes et arbustes odorants pour parfumer votre jardin mois aprĂšs mois. Quel bonheur de se promener au jardin et de sentir un parfum flottant dans l’air. Il ne reste plus qu’à dĂ©couvrir quelle plante le diffuse ! dujardin exotique Le mot « exotique » a plusieurs sens et je me suis un peu emmĂȘlĂ© au dĂ©but de la crĂ©ation de ce jardin. C’est finalement « subtropical », le sens que j’ai retenu. Les plantes qui expriment le mieux ce rĂȘve sont les palmiers, les fougĂšres arborescentes, les bananiers, les bambous, les eucalyptus et bonheur, ces Site De Rencontre Gratuit Avec Chat Gratuit. LA BELGIQUE ARTISTIQUE ET LITTÉRAIRE TOME SEPTIÈME Avril — Mai — Juin 1907 f Digitized by the Internet Archive fe in 2017 with funding from - Getty Research Institute La BELGIQUE ARTISTIQUE & LITTÉRAIRE REVUE MENSUELLE NATIONALE DU MOUVEMENT INTELLECTUEL TOME SEPTIÈME AVRIL — MAI — JUIN 1907 BRUXELLES 26-28, rue des Minimes, 26-28 CONTES POUR LES ENFANTS D'HIER HISTOIRE DU ROI PRAXIPLUTE ET DE TROIS FLOCONS DE NEIGE A EugĂšne Demolder, La Hyontargie avait vĂ©cu longtemps heureuse sous le sceptre du bon roi Erimyk-Baladour. Nul n’ignore que ce prince eut la gloire de chasser de ses Etats la tourbe des faiseurs de musiques, peintres et gens de grimoires, en sorte que la patrie, libĂ©rĂ©e des chimĂšres, avait pu se donner tout entiĂšre aux soucis plus prĂ©sents de la vie. Ainsi que nous l’af- firment les annales officielles, une si fĂ©conde rĂ©solu- tion avait bientĂŽt portĂ© ses fruits. GonflĂ©e de richesses, toute la monarchie Ă©tait dĂ©jĂ  merveilleuse d’embon- point lorsque, Baladour Ă©tant mort, le TrĂŽne Ă©chut Ă  Praxiplute. Celui-ci ressemblait Ă  son prĂ©dĂ©cesseur, en vĂ©ritĂ© Ă  s’y mĂ©prendre. MĂȘme stature formidable, santĂ© pareille, ei d’identiques gros yeux bleus avec un tout petit nez noyĂ© dans le double flot des joues rouges. Au moral , il y avait pourtant certaines diflĂ©rences. Erimyk-Baladour fut chanteur; mais 6 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER Praxiplute, comme lui douĂ© d’une voix solide, recher- chait plutĂŽt les triomphes de l’éloquence. Quant aux images, musiques et chansons, on peut affirmer hautement qu’il ne les haĂŻssait point, car il n’avait jamais songĂ© Ă  de telles choses. Non, certes, qu’il n’eĂ»t point d’idĂ©al ! Nul plus que lui ne reconnaissait la force de ce mot. Mais Praxi- plute, d’esprit trop ferme pour se plaire Ă  des bille- vesĂ©es, rĂ©vĂ©rait un idĂ©al positif, un idĂ©al pratique. Son Ă©loquence Ă©mouvait par sa bonhomie, parfois rehaussĂ©e de quelques cris sonores ; c’était une sorte de terre-Ă -terre sublime. Le Roi tenait d’ailleurs Ă  ce qu’elle fĂ»t utile Ă  la nation, et il l’employait sans relĂąche Ă  propager les plus saines doctrines de l’éco- nomie politique. Qui donc s’étonnera que sous un tel monarque la prospĂ©ritĂ© publique ne connĂ»t plus de mesure? Ce rĂšgne fut une pĂ©riode admirable d’expansion, de lointaines entreprises commerciales et de colossales affaires qui s’engendraient les unes des autres comme des bĂȘtes monstrueuses et vomissantes d’or. Sous Baladour, les bourgeois de Hyontargie Ă©taient dĂ©jĂ , pour la plupart, assez replets. Sous Praxiplute ils s’épanouirent mieux encore. GorgĂ©s de bonnes vic- tuailles, tous Ă©taient devenus gras Ă  lard. Sauf dans le menu peuple, oĂč la peste, la faim et les pales couleurs faisaient leurs ravages ordinaires, les Hyontargiens ne pouvaient plus mourir que d’apoplexie ou de maladies d’estomac. En douze an- nĂ©es la statistique n’enregistra, parmi les honnĂȘtes gens, que cinquante-neuf dĂ©cĂšs attribuables Ă  d’au- tres causes. A savoir trois Grands Dignitaires ayant eu la tĂȘte tranchĂ©e pour malversations, et qui ne purent survivre Ă  leur disgrĂące; ALBERT MOCKEL 7 deux Demi-Grands et un Gentilhomme assassinĂ©s par leurs rivaux; le Grand MarĂ©chal de Bouche, brĂ»lĂ© dans les cui- sines par une bassine de confiture toute bouillante ; un Riche-Homme qui se laissa choir de sa fenĂȘtre en regardant passer une courtisane ; cinq Gentilshommes mystĂ©rieusement empoi- sonnĂ©s ; un autre tuĂ© Ă  la guerre, par mĂ©garde ; un Demi-Grand qui avait mangĂ© une guĂȘpe dans une pĂȘche ; six Riches-Hommes noyĂ©s tous ensemble, pour s’ĂȘtre imprudemment baignĂ©s trois heures Ă  peine aprĂšs le repas ; un bourgeois misĂ©rablement Ă©crasĂ© par une malle; et enfin trente-six dames qu’on vit crever de jalousie, et le Grand Pontife qui Ă©clata un jour, de graisse ou de rire, on ne sait. MalgrĂ© cela la canaille, dit-on, trouvait encore des occasions de murmurer; mais la force armĂ©e Ă©tait lĂ  pour lui enseigner les Ă©gards qu’on doit aux choses respectables. Quant aux classes supĂ©rieures de l’Etat elles vivaient noblement, Ă©blouies d’elles- mĂȘmes, et glorieuses de cette incomparable fortune Ă  jamais dĂ©signĂ©e pour les fastes de l’Histoire. * * * Ainsi passĂšrent les ans, et aprĂšs les ans les annĂ©es. Ceux qui, sous l’ancien rĂšgne, Ă©taient des hommes mĂ»rs et forts, traĂźnaient maintenant leurs pieds de vieillards alourdis par la goutte; les adolescents d’alors avaient atteint l’ñge des soucis, et une gĂ©nĂ©ration nouvelle Ă©tait nĂ©e. 8 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER C’est parmi ces jeunes gens que se rĂ©vĂ©la d’abord le surprenant malaise dont les historiens de la Hyon- targie ont essayĂ© en vain d’expliquer les causes. Il commençait d’une maniĂšre bizarre par . une crise d’ennui, de faiblesse et de langueur sentimentale. On dĂ©signait cela par un mot singulier, jusqu’alors Ă©tranger au vocabulaire du pays la mĂ©lancolie. Quand l’affection devenait plus grave, c’était le splĂźne ou splenn. Nul organe ne paraissait lĂ©sĂ©; une souf- france Ă  la fois vague et profonde envahissait tout l’ĂȘtre, et le malade prenait en dĂ©goĂ»t une vie dont il n’espĂ©rait plus rien. Le splĂźne Ă©tait, d’ailleurs, mani- festement rĂ©servĂ© aux personnes de quelque Ă©duca- tion, tandis que le splenn s’attachait aux ignorants bourgeois. Les dames n’étaient point sujettes Ă  la maladie, par bonheur. Mais chez les jeunes hommes elle fit de grands ravages, et peu Ă  peu, par contagion, gagna mĂȘme leurs aĂźnĂ©s. Ils ne se trouvaient plus la force d’accroĂźtre leurs richesses ; on les entendit dĂ©clarer monotone leur splendeur, et que boire, manger et s’amuser, c’est toujours la mĂȘme chose. Ils mon- traient partout leurs mornes visages, cherchant d’un air lugubre un plaisir qu’ils ne trouvaient plus ; puis ils se renfermaient jalousement dans leurs demeures oĂč leurs proches les voyaient dĂ©pĂ©rir, et de temps en temps il se rĂ©pĂ©tait qu’un Hyontargien venait de trĂ©passer, tuĂ© par un ennui sauvage. Cependant, les affaires devenaient languissantes; le crĂ©dit public perdait de son ressort, l’argent se resserrait, on ne crĂ©ait plus d’affaires nouvelles. Une formidable crise financiĂšre Ă©tait imminente. En ces tristes conjonctures, le Roi ne faillit point Ă  son devoir. Il fallait Ă  tout prix relever les esprits, ramener la confiance; et Praxiplute n’ignorait point ALBERT MOCKEL 9 comment on agit en ce cas il suffit de racheter quelques dettes de l’Etat, puis de taxer les Juifs et de faire grand fracas de dĂ©pense afin d’éblouir par le luxe. Or, les Juifs pullulaient en Hyontargie, et le trĂ©sor de la Couronne entassait dans cinquante caves blindĂ©es des masses prodigieuses d’or. Mais quel luxe pouvait donc manquer aux Riches du pays? comment espĂ©rer les Ă©blouir? Meubles et tapis prĂ©cieux, tentures de velours, tentures de soie, et celles qu’on tisse d’or et d’argent; bijoux qui scintillaient en Ă©parpillant mille Ă©toiles ; fruits mĂ»rs, viandes appropriĂ©es Ă  toute gourmandise, et jusqu’à des bĂȘtes merveilleuses qu’on faisait Ă  grands frais provenir des tropiques et du pĂŽle; armes, jeux, vĂȘte- ments au noble faste, chevaux prompts Ă  caracoler et somptueux carrosses, — vastes et chaudes demeures pour l’hiver, sans compter les habitations estivales dans les bois, rafraĂźchies par des gerbes d’eau pure, — les riches Hyontargiens possĂ©daient tout cela ! Or Praxiplute se dĂ©solait, n'imaginant rien de plus, lorsque l’embassadeur d’un Etat voisin cita d’autres luxes que l’on ne connaĂźt point en Hyon- targie. Il parla longuement des cours rivales, Avigorre, Alturinse et Tzur; il nomma le prince d’AquilĂ©e, familier des choses philosophiques, et le prince Jerzual d’Urmonde, qui fut bon harpeur et beau conteur de fableries. Le jeune prince de Valan- deuse a grande renommĂ©e, Ă©tant trouvĂšre de lais et chansons, car il fut instruit par les fĂ©es ; et les voyageurs cĂ©lĂšbrent par tout l’univers le roi EllĂ©rion d’ArgilĂ©e chez qui l’on voit plus de cent tables peintes, et l'histoire des hĂ©ros taillĂ©e Ă  merveille dans la pierre. Il y a dans son palais des scĂšnes de tous les Ăąges, figurĂ©es sur les murs parmi des guirlandes fleuries et mille ingĂ©nieux rĂ©seaux de couleur; et lO CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER ainsi toujours, de salle en salle, jusqu’au bout de la longue galerie oĂč l’on voit tout Ă  coup, parmi les jeux de la lumiĂšre et de la musique, des corps har- monieux aux nobles attitudes. La plupart des rois, disait l’EnvoyĂ©, font grand cas de ces luxes de l’esprit. Dans les capitales prospĂšres, il y a mĂȘme des salles tout exprĂšs pour la musique, et d’autres oĂč l’on fait revivre les hommes de jadis en toutes sortes de fables inventĂ©es. On y donne de grandes fĂȘtes, et les habitants de ces villes en tirent beaucoup de joie et de divertissement. Praxiplute ouvrait de larges yeux et ne comprenait qu’à demi. Mais le Grand Damoiseau des Plaisirs lui parla en secret. — Sire, dit-il, l’amour propre national est le meilleur soutien des dynasties. Le peuple ne souffri- rait-il pas dans son patriotisme, s’il savait que Votre MajestĂ© ne possĂšde point ce qui fait l’orgueil de tant d’autres monarques? — TĂȘtebleu! s’écria le Roi, il faut lui montrer que nous sommes assez riches pour nous payer tout cela. Cependant, lorsqu’on en voulut venir au fait, il y eut grand embarras. Point d’artistes en Hyontargie! Le Roi fut trĂšs surpris et demanda pourquoi. Pourquoi? En vĂ©ritĂ©, personne ne le savait plus. Il fallut dĂ©crĂ©ter des recherches, et c’est pourquoi les secrĂ©taires royaux s’en furent consulter les archives qu’ils explorĂšrent de comble en fond. Ils y trouvĂšrent d’abord un grand nombre de toiles d’araignĂ©es, en trĂšs bon Ă©tat; puis un amas floconneux et grisĂątre d'oĂč ils retirĂšrent coup sur coup un cheval Ă  bas- cule oubliĂ© par les enfants du dernier archiviste. ALBERT MOCKEL I I quatre chaises dĂ©paillĂ©es, un corps de robe en fanons de baleine, de vieux paniers dĂ©foncĂ©s et une infinitĂ© de puces ; aprĂšs quoi l’on atteignit les actes de la Couronne, oĂč les maigres scribes aux longs nez furetĂšrent avec minutie. La poussiĂšre se soulevait autour d’eux et s’envo- lait par les fenĂȘtres comme un Ă©pais brouillard. Le ciel en fut voilĂ©, au point que le jour fit place Ă  la nuit. Les passants, aveuglĂ©s, se heurtaient aux murs sur les places publiques, ils s’éternuaient mutuelle- ment au visage, et cela fit des querelles. Cependant les scribes travaillaient toujours. BientĂŽt la couche de poussiĂšre devint si Ă©paisse dans les rues qu’il fal- lut renoncer Ă  y traĂźner carrosse, et les affaires furent suspendues pendant plus de vingt jours. Mais la piĂšce officielle fut enfin dĂ©couverte, et l’on put mon- trer au Roi le dĂ©cret d’Erimyk-Baladour qui, pour intentions malfaisantes et mĂ©dires Ă  l’égard de la MajestĂ©, exilait de l’Etat les tailleurs d’images, hommes de musique, songes-creux, et toutes gens qui inventent et gribouillent. Alors Praxiplute se mit en colĂšre et cassa le dĂ©cret. Et l’on attendit. On attendit un mois, deux mois, on en attendit six; mais les savants, les artistes ne revinrent point. La plupart Ă©taient morts aprĂšs tant d’annĂ©es, en des terres diverses; quant aux rares survivants, ils avaient nouĂ© ailleurs des amitiĂ©s ou des alliances et n’avaient nulle envie de quitter leurs foyers pour montrer Ă  leurs cheveux blancs le royaume ingrat de Hyontargie. On demanda des poĂštes et des musiciens en ArgilĂ©e, en Urmonde, en Alturinse, en Avigorre, en Tzur; mais ils se moquĂšrent, et dirent que leur art n’était pas fait pour des Hyontargiens. 12 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER Le Roi se dĂ©sespĂ©rait, car il tenait Ă  accomplir les choses qu’il avait une fois dĂ©cidĂ©es, et dĂ©jĂ  l’on tremblait pour sa santĂ© lorsqu’un jour le Grand Chef Justicier lui dit ce qu’il savait d’un Ă©trange captif gardĂ© au fond d’une cellule, et depuis un temps si lointain qu’on avait oubliĂ© ses forfaits. C’était un homme Ă©trange, et qui prĂ©tendait ouĂŻr en lui- mĂȘme des musiques. Un fou, assurĂ©ment. Une fois mĂȘme, bien des annĂ©es auparavant, il s’était avisĂ© d’inscrire mille signes bizarres sur les murs de son cachot; c’étaient une multitude de petits carrĂ©s, de petits losanges disposĂ©s sur quatre lignes trĂšs minces, et le prisonnier semblait hors de lui-mĂȘme lorsqu’il les contemplait; mais on les avait effacĂ©s Ă  la hĂąte, par crainte des sortilĂšges, et depuis ce moment-lĂ  le vieil- lard n’avait plus prononcĂ© une parole. — Ha! ha! mais c’est trĂšs drĂŽle vraiment, dit le Roi. — J’avais songĂ© Ă  lui. Sire, le croyant magicien, et pensant qu’il pourrait aider l’Etat par ses artifices pour arrĂȘter la crise... Mais en consultant les tables de nos Chartres, j’ai vu que ce prisonnier est un musicien. — Musicien! Tu en es sĂ»r? cria Praxiplute. — Oui, Sire. Il s’appelle LillĂ©e et il fut enfermĂ© pour offense Ă  la MajestĂ©, mais son crime ne date pas de ce rĂšgne. Ce jour-lĂ , le Roi fut rĂȘveur, bien qu’il eĂ»t dĂ©jĂ  meilleure mine. Et dĂšs le lendemain, il envoya en ArgilĂ©e, Valandeuse, AHgorre et autres contrĂ©es, rechercher tous les instruments dont il est fait usage pour la musique. Les courriers s’en furent en grande hĂąte. Deux mois plus tard ils Ă©taient revenus, rapportant des trom- pettes et des tambourins, fifres et cornemuses par centaines ; des flĂ»tes Ă  bec et traversiĂšres, trompes Ă  ALBERT MOCKEL l3 tirants, serpents, chapeaux chinois ; maintes violes grandes et petites, cornes d’acacia, olifants et conques ; des rotes, crĂ©celles, triangles et clavicordes, rebecs, tam-tam, lyres, nĂ©bels ; cloches campanes, cors et guitares, luths, tympanons et des kinnors, clairons, cimbales et sacquebutes qui furent entassĂ©s dans le palais. Et il arriva des buccinateurs gigantesques et d’autres gens habiles Ă  manier les instruments sonores, et avec eux des hommes qui chantent, et des femmes et des enfants Ă  la voix aiguĂ«. Alors le Roi fit quĂ©rir le prisonnier. C’était un vieillard sans souffle, au chef branlant, aux mains incertaines. Le gueux Ă©tait pĂąle et maigre Ă  donner l’épouvante, avec une barbe mĂȘlĂ©e et de trĂšs longs cheveux qui lui faisaient un manteau flottant. On eĂ»t dit qu’il sortait d’un sĂ©pulcre, car on voyait Ă  travers ses joues la ligne des mĂąchoires et des dents, et ses yeux n’avaient plus nulle flamme. Il s’avançait en hĂ©sitant, comme un homme Ă©bloui d’avoir regardĂ© le soleil, et il fut un long temps avant de pouvoir prononcer un seul mot. Mais on dit au Roi qu’il Ă©tait fascinĂ© par la majestĂ© du TrĂŽne, et Sa MajestĂ© l’accueillit avec une indulgente faveur. Or donc, Praxiplute, qui tut un bon roi, donna ordre d’élargir le musicien ; puis il lui signifia d’avoir Ă  fournir une grande fĂȘte pour l’anniversaire de sa Joyeuse EntrĂ©e, Ă  un mois de lĂ . Et, comme il ne regardait pas Ă  la dĂ©pense, il donna Ă  LillĂ©e mille piĂšces d’or pour que la musique tĂ»t plus belle. * * * On Ă©tait Ă  l’époque de la fĂȘte de Grasse-Truie, laquelle correspond en Hyontargie Ă  la NoĂ«l des 14 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER autres peuples. C’est d’ailleurs la fĂȘte nationale du pays, car elle fut instituĂ©e sous le rĂšgne d’Erimyk- Baladour, afin de commĂ©morer le premier essor de la prospĂ©ritĂ© publique. Cela seul suffirait pour qu’elle fĂ»t grandiosement cĂ©lĂ©brĂ©e. Mais des causes natu- relles s’ajoutent Ă  cette cause historique. Les Hyon- targiens ont toujours eu un faible pour la charcuterie. Elle Ă©chauffe le cƓur en mĂȘme temps que le corps, et c’est pour ce motif qu’ils en exaltent les bienfaits au dĂ©but de l’hiver. Cette annĂ©e-lĂ , le froid Ă©tait venu trĂšs tĂŽt. LillĂ©e fut criblĂ© de flocons, tandis qu’il faisait route vers la demeure modeste que lui avaient assignĂ©e les ordres de Sa MajestĂ©; mais il aimait la neige et il eut une joie d’enfant Ă  regarder les flocons que la bise sou- levait. Ils font de folles niches, — mille tours imper- tinents de page qui disent leur indĂ©pendance. On leur pardonne lorsqu’ils vous sautent par malice dans les cheveux et dans la barbe, ou si leur caprice tout Ă  coup se faufile au fond des oreilles. L’air est comme renouvelĂ© par la neige. LillĂ©e en aspirait avec dĂ©lices la puretĂ© froide et saine. Lorsqu’il fut arrivĂ© Ă  son logis, il ouvrit aussitĂŽt la fenĂȘtre de sa petite chambre pour laisser entrer le vent d’hiver, et il se pencha Ă  la croisĂ©e , afin de suivre le joli tumulte puĂ©ril des flocons qui lui chantaient la libertĂ©. Mais sa pensĂ©e revint Ă  la terrible tĂąche que lui avait fixĂ©e le Roi, et le souci crispa les rides de son visage. Il songea Ă  sa vie de prisonnier et Ă  cette tra- gique destinĂ©e de silence, pour lui, le musicien, lors- qu’on avait effacĂ© des murs l’Ɠuvre de joie et de dou- leur qu’il y avait tracĂ©e... LillĂ©e eut un brusque frisson. Pourrait-il encore, aprĂšs tant d’annĂ©es, faire mouvoir au-dedans de lui-mĂȘme les grandes vagues ALBEiCT MOCKEL l5 inconnues qu’on sent monter, s’enfler et qui se heurtent et qui jaillissent enfin en gerbes magnifiques, pour Ă©lancer aux deux le cri de la beautĂ© ? De rayonnantes idĂ©es, glorieuses comme le soleil, avaient passĂ© jadis sous son front tandis que la prison lui cachait la lumiĂšre ; c’étaient des rythmes francs et forts et d’autres plus souples que ne le sont les femmes, et il y avait des harmonies graves comme les tĂ©nĂšbres, ou qui semblaient profondes et sans fin, et puis d’une inouĂŻe clartĂ© oĂč s’épanouissaient des roses... Mais elles passaient, passaient, et voici bien longtemps qu’elles n’étaient revenues ! LillĂ©e Ă©couta s’il entendrait encore en lui la voix ineffable et secrĂšte, — et les flocons qui gambadaient Ă  la fenĂȘtre le virent se serrer le front entre les mains, faire quelques pas en vacillant, et tout Ă  coup pleurer avec des sanglots; — son Ăąme n’avait plus de paroles. Mais les flocons de neige ne comprennent pas toujours, et ils ont l’esprit inconstant. Lorsqu’ils eurent un peu voltigĂ© autour de l’homme dont ils avaient vu l’angoisse, ils s’enfuirent par la croisĂ©e et recommencĂšrent dans la rue leur sarabande sans plus y penser. Us s’abandonnaient aux remous du vent, planaient, glissaient plus bas, et de chute en chute molle effleuraient presque la terre; et puis soudain les voilĂ  qui tourbillonnaient par-dessus les mai- sons, faisaient la ronde autour des cheminĂ©es, tirail- laient la fumĂ©e en son vol, virevoltaient pour se lutiner, et de fuite en poursuite tombaient Ă  la fin sur le sol. Les flocons de neige sont pareils aux enfants ; ils s’amusent de tout, parce qu’ils sont curieux, agiles et d’un caractĂšre lĂ©ger. Quelques-uns tournoyaient comme des fous i6 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER devant la figure d’un chambellan, pour voir s’il gar- derait sa dignitĂ©, et d’autres, balancĂ©s le long des habitations, prĂšs des vitres, regardaient sans vergogne Ă  l’intĂ©rieur. MĂȘme il y en eut trois qui se laissant mollement flotter jusque sur le visage d’une jeune fille, le caressĂšrent avec effronterie et mirent sur ses lĂšvres un petit baiser froid. Mais la jeune fille lança un grand soupir, car elle songeait Ă  son amant, et les trois flocons furent chassĂ©s tous ensemble bien loin au-dessus des toits, tant le soupir Ă©tait fort. Alors ils rirent comme des gamins, inventĂšrent vingt pirouettes, firent des menuets espiĂšgles oĂč l’on se taquine et s’esquive, et d’un rapide Ă©lan partirent de compagnie, car ils Ă©taient frĂšres depuis leur aventure. Ils traversĂšrent ville et faubourgs, planant trĂšs haut, passĂšrent dix places, rues et carrefours, et des venelles par centaines. Sous eux, la ville Ă©tait belle, en ses imbrications blanches dĂ©coupĂ©es d’angles et de pointes ; aux lointains, elle apparaissait toute pĂąle, et comme fondue dans la neige qui tombait; mais plus prĂšs d’eux, selon leur vol, naissaient de vives miroitures aux aiguilles que le gel cristallise. Ils s’en furent longtemps ainsi et parvinrent Ă  un large espace oĂč brillait sous le givre une petite forĂȘt. C’étaient des pins et des sapins par rangĂ©es innombrables que des marchands habiles avaient apportĂ©s des montagnes et qui attendaient lĂ  d’ĂȘtre offerts aux jeunes Hyontargiens, comme c’est la coutume Ă  la fĂȘte de Grasse Truie. Les trois flocons s’arrĂȘtĂšrent Ă  la cime d’un mĂ©lĂšze qui paraissait vrai- ment dĂ©paysĂ© parmi tous les sapins ; ils Ă©taient fati- guĂ©s de gambades et dĂ©sireux aussi de causer Ă  loisir pour approfondir leurs caractĂšres. C’est pourquoi ils s’interrogeaient Ă  l’envi — D’oĂč viens-tu? ALBERT MOCKEL ^7 — As-tu vu de trĂšs belles choses? — Ou de trĂšs extraordinaires ? — OĂč donc es-tu nĂ©? As-tu dĂ©jĂ  fait des voyages? — Moi, moi, c’est moi qui suis le plus beau de vous tous, car je suis de fiĂšre race. — Il faut le prouver! — Je viens de la neige des montagnes ! Tout petit, je me vois descendant un grand fleuve qui va aux pays du soleil ; il faisait bon vivre alors et nous ondu- lions en paix, mes frĂšres et moi, dans la chaleur douce. Mais un jour la chaleur fut si forte que je dĂ©faillis, et puis je me sentis monter comme une petite bulle, et le soleil m’emporta au plus haut des deux. — Oh ! dit le deuxiĂšme flocon, tu as vu de tout prĂšs le grand Soleil ? — Oui ! je volais, je volais, je volais vers lui!... et je crois que j’allais le toucher, quand soudain j’eus Je vertige. C’est alors que je suis tombĂ© sur la terre. Quelle catastrophe! — Non. La terreĂ©taitbelleoĂč je descendis. C’étaient -des mamelons immenses et blancs, et des pics, et de profonds gouffres, ainsi qu’une tempĂȘte figĂ©e. Souvent des nuages auprĂšs de moi passaient, et alors, Ă  tra- vers leurs jeux d’ombre, des territoires Ă©taient voilĂ©s, comme si la mort les eĂ»t marquĂ©s de son crĂȘpe. Et je voyais courir la tache noire; elle descendait aux courbes des gorges, frappait les rocs, meurtrissait des plateaux glacĂ©s, et tout Ă  coup, par une dĂ©chi- rure, les rayons tombaient en flots d’or. Parfois aussi les nuages luttaient avec les cimes; elles jaillissaient de la vapeur, raides et orgueilleuses, et s’y retrou- vaient plongĂ©es aussitĂŽt; et du fond des vallĂ©es, d’autres nuĂ©es arrivaient comme une armĂ©e en .bataille, et les nuages luttaient alors entre eux. Mais l8 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER au-dessus c’était l’air pur, transparent plus que nul cristal, et puis on ne sait plus s’il y a un horizon c’est l’espace, la clartĂ©, c’est l’immensitĂ© vide, et il plane un cĂ©leste silence... VoilĂ  ce que j’ai vu. — Oh, moi, dit le deuxiĂšme flocon, je viens aussi de loin. J’étais une goutte de la Mer, j’ai dansĂ© dans les vagues, j’ai portĂ© les navires qui voguent vers tous les deux! J’étais ivre de rire en tournant dans l’écume, je regardais les grands poissons agiles, je faisais mille sauts pour dĂ©ferler sur les flasques mĂ©duses, — et comme j’errais ainsi, glissant de flot en flot, j’ai rencontrĂ© des Ăźles qui sont encore Ă  dĂ©couvrir. Et puis j’ai vu la tempĂȘte quand elle hurle. Elle lançait aux nuages nos vagues, et tout Ă  coup fendait la mer ; et nous ballottions les pesantes carĂšnes, et j’ai entendu plus d’une fois des hommes qui criaient Ă  la mort. — Ce devait ĂȘtre assez Ă©mouvant, concĂ©da le pre- mier flocon. Pourtant les montagnes sont plus belles, et d’abord elles sont bien plus hautes que les vagues... — Oui, mais tu n’imagines pas comme la mer est plus large ; et puis ce n’est pas vrai que les montagnes soient plus belles ! — HolĂ ! cria le troisiĂšme flocon, allez-vous donc vous disputer? On est bien mal pour cela Ă  la pointe de ce mĂ©lĂšze . . . Les deux autres s’étaient mis Ă  rire, tellement qu’on ne voyait plus d’eux que leurs dents blanches... — A ton tour! dirent-ils. Et le troisiĂšme parla aussi, mais il Ă©tait bien plus timide — Ecoutez, je ne suis pas un grand voyageur comme vous. Et j’ai connu pourtant de belles rives, quand je passais aux rĂ©gions de LĂ©odie-la Souriante. Il y avait des arbres qui trempaient au courant leurs ALBERT MOCKEL ^9 branches; nos flots jasaient vers les prairies, et des enfants parfois, et de sveltes filles, entraient dans les eaux en chantant. La lumiĂšre parmi les brumes bleues glissait avec des musiques, et c’était beau, et c’était doux infiniment.. — Mais, s’écria le premier, ce n’est pas intĂ©ressant du tout, ce que tu radotes-iĂ  ! Alors il prit son Ă©lan, et les deux autres aprĂšs lui bondirent, et ils s’en furent de nouveau par les rues et les carrefours oĂč va le grĂ© du vent qui passe. Tout Ă  coup, au milieu de leurs jeux ailĂ©s et des folles culbutes, ils ouĂŻrent un son lointain plus dou- loureux qu’une plainte d’enfant. Les trois flocons volĂšrent de ce cĂŽtĂ©, sautelant au-dessus l’un de l'autre afin d’aller plus vite, et comme ils s’étaient arrĂȘtĂ©s, entendant le son tout prĂšs d’eux, ils virent par une croisĂ©e ouverte un homme trĂšs vieux qui maniait en tremblant une viole et en tirait des notes oĂč hĂ©sitait l’archet. C’était une mĂ©lodie sans suite, mais ardente et contenue, comme une confidence que l’on n’ose achever. Le son, d’abord tendu, impĂ©rieux, vĂ©hĂ©ment, tout Ă  coup se brisait, et cela faisait comme une blessure au cƓur; mais il renaissait avec force, bondissant Ă  l’aigu, ou modulant au grave des paroles profondes coupĂ©es de cris et de lancinants reproches... Et puis la mĂ©lodie avait d’inattendus dĂ©tours ; elle disait sur la chanterelle une paix cĂ©leste dans la clartĂ©, et cela mĂȘme Ă©tait si triste qu’une Ăąme semblait y mourir. Les trois flocons avaient reconnu le musicien ; d’avoir entendu quelle Ă©tait sa douleur, ils eurent compassion, et ils auraient voulu le consoler. Mais froĂ»oĂč Ăź bßßßßhe I une bouffĂ©e de vent les emporta par- dessus les maisons et ils furent bousculĂ©s, tiraillĂ©s, jetĂ©s en l’air de toutes façons, au point qu’ils allaient 20 CONTES POUR LES ENFANTS D’HTER ĂȘtre sĂ©parĂ©s. Et comme ils cherchaient tous un point solide oĂč se fixer, le premier avisa une grosse masse brillante et s’y attacha de toute son Ă©nergie avec ses frĂšres qui l’avaient suivi. Mais ils poussĂšrent ensemble un cri en leur langue de neige, car ils se crurent tombĂ©s dans le feu. En mĂȘme temps il y eut sous eux un effrayant tapage et comme un tremble- ment de terre — ils firent une vertigineuse pirouette, et se retrouvĂšrent rĂ©unis, cramponnĂ©s Ă  une surface de mĂ©tal. Or c’était simplement le casque d’un hallebardier dont ils avaient rencontrĂ© par mĂ©garde le nez consi- dĂ©rable ; et ce nez Ă©tait rouge, et ce nez avait Ă©ternuĂ©. Le hallebardier, trĂšs fier et tout de jaune vĂȘtu, fai- sait la police du grand pont. Au-dessous de lui, le fleuve mouvait sa lourde masse; des glaçons arri- vaient du lointain, pesamment bousculĂ©s, qu’on entendait passer en heurtant sourdement les berges, et lĂ -bas, vers la mer oĂč courait leur avalanche, le soleil se montrait Ă  travers les zĂ©brures des nuĂ©es. Il marquait de sang la ligne des eaux, et les glaçons ballottĂ©s sur les vagues oscillaient en scintillations multicolores parmi des cercles d’or liquide. Mais le hallebardier ne voyait point cela. Par ordre du Roi il forçait les passants Ă  ne marcher qu’à droite sur le pont, et veillait Ă  ce qu’on observĂąt le rĂšglement. Lorsqu’un Hyontargien oubliait d’obĂ©ir, le hallebardier lui rappelait le rĂšglement et se mettait en colĂšre; et les trois flocons jugĂšrent qu’il exĂ©cutait trop durement sa consigne, car il venait de saisir une jeune fille aux vĂȘtements transparents, et tenait Ă  deux mains ses boucles ballantes afin de la conduire en lieu sĂ»r. Prends garde, hallebardier, disait la jeune fille. MalgrĂ© ma robe couleur de buĂ©e, malgrĂ© cette robe ALBERT MOCKEL 21 qui te scandalise et ma chevelure dĂ©vergondĂ©e, je suis plus puissante qu’une princesse. On m’appelle NovĂ©liane, fĂ©eNovĂ©liane, sƓur de Lull et deLazuli... — Silence! hurla le hallebardier. Vous insultez un fonctionnaire! » Mais NovĂ©liane lui souffla au visage, le beau nez en devint nuancĂ© d’azur et le hallebardier lĂącha prise. Alors fĂ©e NovĂ©liane ouvrit des ailes translucides telles qu’un frĂ©missant cristal; elle frĂŽla gentiment la figure du hallebardier qui se crut soudain en paradis, et avec les flocons mĂȘlĂ©s parmi ses boucles elle glissa dans la brume et s’enfuit. Oh ! ce fut une belle course planĂ©e, sur la ville, sur le fleuve et jus- qu’au fond des deux! NovĂ©liane allait plus vite que le vent, et les flocons tremblaient de peur; ou bien elle musait parmi les gros nuages et ils se divertis- saient Ă  narguer ces personnages balourds qui trainent sans fin leurs robes grises. FĂ©e NovĂ©liane battit des ailes avec plus de force et bientĂŽt elle fut au-dessus des nuages, en un lieu si froid que l’air semblait fait de mille petites dents aiguĂ«s. Ses ailes restaient suspendues dans un transparent silence. Nul bruit ne venait de la terre; seuls, en une lumineuse musique, les astres crĂ©pitaient dans la nuit limpide. Puis une grande clartĂ© bleue s’éleva Ă  travers les espaces, et parmi les Ă©toiles pĂąlies la lune parut au bord du ciel. Lentement NovĂ©liane Ă©tait redescendue, et dĂ©jĂ  elle errait par-dessus les toits de la ville. En revenant ainsi vers les hommes, les flocons se souvinrent d’une tragique mĂ©lodie qui les avait Ă©mus. A un certain moment ils crurent mĂȘme [l’entendre... Mais cette fois, oh cette fois le son Ă©tait si faible qu’on le sentait proche de mourir. Et les flocons [auraient 22 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER bien voulu dire ces choses Ă  la fĂ©e, mais ils n’osaient point. En outre, ils Ă©taient distraits par les Ă©tranges allures de NovĂ©liane dans les misĂ©rables venelles oĂč sa forme diaphane planait Ă  prĂ©sent. Il y avait dans ses mains une chose pĂąle et bril- lante, comme une poussiĂšre de lune qu’elle avait recueillie plus haut que les nuages. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce lĂ  cette graine des rĂȘves dont on a tant parlĂ© ?.. Mais les flocons n’en savaient rien. Ils voyaient NovĂ©liane pĂ©nĂ©trer dans les plus tristes logis. Silencieuse et irrĂ©- vĂ©lĂ©e elle y parsemait un peu de la poudre claire, et les visages souriaient aussitĂŽt. Alors, dans toutes les maisons qu’elle avait visitĂ©es, il se fit des allĂ©es et des venues ; des hommes arri- vaient, montrant les piĂšces d’argent gagnĂ©es, et des femmes rapportaient en menue monnaie le prix de quelque objet vendu par la ville; et tous se fĂ©lici- taient de l’aubaine, et il entrait des gens porteurs de bonnes nouvelles, et des jeunes filles chantaient pour leur amoureux revenu de la guerre, et NovĂ©liane mouvait lentement ses ailes comme pour en caresser ce petit peuple. Les flocons devinĂšrent qu’elle Ă©tait la fĂ©e de ces hasards propices, et ils chuchottĂšrent — Que tu es bonne ! que tu es bonne pour ces gens-ci! Mais il est d’autres infortunes... Viens, NovĂ©liane, nous te conduirons. — Laissez, rĂ©pondit-elle; laissez planer mes ailes! Son vol s’éleva de nouveau pour atteindre les quartiers les plus riches. LĂ  se trouvaient des hommes et des femmes agonisants de fureur jalouse, des amants qu’avaient sĂ©parĂ©s cruellement des mĂ©- prises, et d’autres qui souffraient de ne pouvoir s’aimer. Or, NovĂ©liane touchait les vitres en passant, et soudain la joie Ă©tait revenue. ALBERT MOCKEL 23 Les trois flocons parlĂšrent encore. — Oh! NovĂ©liane, que de bien tu rĂ©pands! Mais Ă©coute il est de plus dures infortunes... — Je sais, je sais, dit-elle. Avant de me glisser au seuil des pauvres j’avais vu bien d’autres demeures... Oh malheureuse, malheureuse citĂ©! Tous, ici, tous sauf un seul, m’ont fait pleurer de douleur. Et j’en ai secouru d’abord, que vous ne saviez pas ceux qui gĂ©missaient pour leur vanitĂ© humiliĂ©e, et les opu- lents manieurs d’or Ă  qui une cargaison perdue avait coĂ»tĂ© des cris de rage... A ceux-lĂ  j’ai rendu, avec l’espoir, de l’énergie. — NovĂ©liane! HĂ©las, qu’as-tu fait! — - Les hommes ne peuvent aimer que ce dont ils sont proches ; et de quoi donc sont proches les Ăąmes de ceux-ci? Je donne Ă  chacun la joie dont il est digne... Laissez planer mes ailes ! FĂ©e NovĂ©liane reprit son vol, et, cachĂ©s dans sa chevelure, les flocons firent de grands yeux ronds tout blancs pour regarder partout. Les pins et les sapins qu’ils avaient aperçus rangĂ©s sur la place, prĂšs du fleuve, circulaient maintenant dans les rues, — mais non point seuls, il faut le dire. Il y en avait de tout petits, qu’on tenait d’une seule main, d’autres qu’il fallait porter Ă  deux bras, et de plus gros encore couchĂ©s sur des chars. Il y eut mĂȘme un sapin qui paraissait tout d’or; de ses basses branches il renversait hommes et femmes sur son passage, et six chevaux caparaçonnĂ©s d’argent et d’es- carboucles le traĂźnaient, debout et suspendu, vers le palais du Roi. Puis les arbres entrĂšrent dans les habitations. Quelques-uns, trĂšs hauts et trĂšs larges, achetĂ©s par les Grands et les Dignitaires, franchissaient avec peine les portes des palais ; on les dĂ©chargeait Ă  force 24 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER d’hommes et, leur feuillage mĂ©tallique secouĂ© par un frĂ©missement, lorsqu'ils avaient passĂ© le seuil ils redressaient leur roide stature au milieu des salles vitrĂ©es. Ailleurs, dans les maisons des Demi-Grands, officiers mineurs ou membres de la Hanse, les sapins montaient d’étage en Ă©tage; et les plus petits mon- taient le plus prĂšs des toits, car tous les Hyontargiens ne sont pas Ă©galement riches. Peu Ă  peu se fit la parure des arbres. Dans les loge- ments des misĂ©rables, il n’y avait aux branches que de vilaines petites images du cochon, faites de miel et de farine, et quelques maigres saucissons. Aux Ă©tages suivants pendaient par grappes des pieds dont la peau blanche mettait l’eau Ă  la bouche, toutes sortes de boudins gorgĂ©s de foie, des guirlandes de sau- cisses rubicondes et juteuses, et de succulents jam- bons bien en lard. Plus bas encore des tĂȘtes de porc artistement dĂ©corĂ©es de tripes en collier, avec des yeux d’émail et, dans les oreilles, des touffes de fleurs rouges oĂč se mĂȘlaient des truffes. Et de magnifiques victuailles alternaient, chez les plus riches, avec mille bijoux rappelant par leur forme la truie nationale, en sorte que plus de cinquante cochons en bronze poli, en argent, en or filigranĂ© ou chargĂ© de massifs cabochons d’azur, se balançaient Ă©lĂ©gamment aux ramilles. Lorsqu’il s’agit de cĂ©lĂ©brer leur grande fĂȘte, les Hyontargiens savent ne rien Ă©pargner. Chez le Roi, le luxe montrait des merveilles. Le faste de la couronne y Ă©tait rĂ©vĂ©lĂ© dĂšs l’entrĂ©e des jardins. LĂ , de beaux ifs taillĂ©s avec soin imitaient Ă  ravir la prestance de la truie et, rangĂ©s majestueuse- ment en allĂ©e, ils menaient Ă  la salle immense oĂč l’on avait dressĂ© l’Arbre d’or. Les flocons avaient ri d’abord comme des fous ; ALBERT MOCKEL 25 mais l’arbre d’or les impressionna. Aux branches d’en bas ils comptĂšrent des quartiers de cochon Ă  la chair tendre et rosĂ©e qui devait fondre sur la lĂšvre ; plus haut, des jambons allĂ©chants; plus haut, de bonnes andouilles colorĂ©es de vermillon et fleuries. Par une trouvaille d’un aspect dĂ©licieux, des tripes brodĂ©es de mĂ©taux choisis glissaient de ramure en ramure ; puis, en lignes jumelles avec de vrais boudins, ondulant parmi des cochons d’argent, d’or ciselĂ©, de turquoise et d’émĂ©raude, elles atteignaient enfin la cime oĂč, sous les feux de trente lampadaires, scintillait une truie taillĂ©e dans un seul diamant. Les courtisans louaient Ă  grands cris ces disposi- tions ingĂ©nieuses. Praxiplute leur montra l’eflet enchanteur du diamant et tous, la tĂȘte levĂ©e, clignant des yeux vers la pointe de l’arbre, ils rĂ©pondaient que jamais on n’avait Ă©tĂ© plus prĂšs de la nature. Soudain il y eut des clameurs et des bonds d’allĂ©- gresse lorsqu’avec des drapeaux Ă©ployĂ©s et des torches et le tapage des acclamations, apparurent en triomphe vingt-quatre cochons vivants. Ils Ă©taient Ă©normes et formidables. On les attacha au pied de l’arbre oĂč ils se vautrĂšrent mollement sur les tapis de velours ; et les chambellans charmĂ©s les caressaient, leur don- naient de doux noms, admiraient leurs chaĂźnes incrustĂ©es et les bracelets, les colliers et les longues boucles d’oreilles qui rehaussaient la grĂące de leur physionomie. Alors on dressa les tables du festin en demi-cercle autour de l’arbre d’or et Gomaburge entama un beau discours sur les richesses de l’Etat. Or des potages fumants arrivaient, et des viandes pleines de jus portĂ©es en procession par de pompeux domestiques, si chargĂ©s de chamarrures qu’ils brillaient comme le soleil. Et le festin commença, et ils mangĂšrent et 20 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER burent, et le Grand MarĂ©chal de Bouche s’étant dressĂ©, avec un somptueux panache de plumes vio- lettes sur la tĂȘte, prononça l’éloge de la Grasse Truie; et le Grand Echanson agitait sa robe de pourpre Ă  bandelettes d’or, et Praxiplute le fit asseoir avec des gestes en colĂšre, et le Roi cĂ©lĂ©bra encore la richesse publique et ils se remirent tous Ă  boire, Ă  manger et Ă  rire en criant... — Partons, FĂ©e NovĂ©liane, oh! partons, je t’en prie! NovĂ©liane dĂ©ploya ses ailes et ce fut comme un arc-en-ciel. — Vite, vite, hĂątons-nous, dit-elle. Son vol passa de nouveau par les rues et les places et les tumultueux carrefours. Partout les Hyontar- giens cĂ©lĂ©braient, comme le Roi, la tĂȘte nationale. Les flocons entendirent de grands bruits de vaisselle et de verres, et ils furent effrayĂ©s par un cortĂšge de gens en dĂ©lire qui sautaient et dansaient, levaient les bras et tournoyaient en ronde autour d’un Cochon colossal portĂ© sur une litiĂšre fleurie. — Plus vite, plus vite, disait la FĂ©e. Ils Ă©taient arrivĂ©s non loin de la maison de LillĂ©e. Les trois flocons de neige tĂąchĂšrent d’ouĂŻr encore la plainte dont ils avaient frissonnĂ©. Cette fois ils n’en- tendirent plus rien, et cela leur fit mal. — NovĂ©liane! arrĂȘte-toi, NovĂ©liane! Mais la FĂ©e semblait ne pas entendre. — Oh! NovĂ©liane, vas-tu laisser cet homme sans secours? Tout Ă  l’heure il appelait avec une si triste mĂ©lodie... A prĂ©sent il se meurt, NovĂ©liane, il se meurt ! La FĂ©e ne rĂ©pondit pas. Mais elle tendit soudain ses ailes et les flocons gĂ©mirent de se voir emportĂ©s si loin. Ils auraient voulu crier encore, mais le vent ALBERT MOCKEL 27 leur coupait la parole. Ils auraient voulu quitter la FĂ©e oublieuse, mais le vent secouait trop durement la chevelure oĂč ils Ă©taient captifs, et ils n’osaient pas fuir. Et NovĂ©liane pointant son front vers le ciel, avait tendu encore son envergure. Le vent semblait de flammes, la terre fuyait... Et NovĂ©liane tendit encore ses ailes. Alors il y eut une telle tempĂȘte que les flocons per- dirent conscience. FĂ©e NovĂ©liane montait, montait en faisant des signes rapides comme la lumiĂšre. Puis elle plana, une minute fut immobile, et fondit sur la terre. Lorsque les flocons revinrent Ă  la vie, ils virent que la FĂ©e s’était entrelacĂ©e avec des rayons de lune. Son visage avec sa parure se transfigurait, et ce fut une forme couleur d’espace qui se balança sur la ville, frĂŽla des toits couverts de neige et, par une fenĂȘtre ouverte, se glissa dans une chambre silen- cieuse. Un homme Ă©tait lĂ  — un vieux, un trĂšs vieux homme, effroyablement maigre et pĂąle, qui serrait en ses mains son front appuyĂ© Ă  la table. Une viole, par terre, avec deux cordes brisĂ©es, des feuilles dĂ©jĂ  noircies de ci de lĂ  Ă©parses, disaient le travail com- mencĂ© et l’heure oĂč avait dĂ©failli le courage. FĂ©e NovĂ©liane effleura le vieillard du bout des ailes sans qu’il la vĂźt, et le vieillard leva un front qui sem- blait sortir de la mort. FĂ©e NovĂ©liane toucha les che- veux blancs, et le vieillard redressĂ©, sourit comme un convalescent. Mais il n’avait pas vu la FĂ©e. Alors NovĂ©liane parut Ă  ses regards, et l’homme tendit les bras, eut un cri de bonheur, et soudain recula devant l’impĂ©rieuse clarßé. 28 CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER Et NovĂ©liane vola vers lui, elle mit sur son front un grave et long baiser; et LillĂ©e s’était jetĂ© Ă  genoux, et son front devint transparent et pur, et ses yeux furent limpides comme des yeux d’enfant. Alors NovĂ©liane mut lentement ses ailes, et les flocons dĂ©tachĂ©s de sa chevelure planĂšrent sur la sur- naturelle brise. LillĂ©e contemplait en une extase ravie, et son Ăąme, peu Ă  peu, s’éveillait au jour. NovĂ©liane mouvait doucement ses ailes. Leurs courbes flĂ©chies semblaient chanter; leur souplesse ondulait comme une voix module. Les ailes frĂ©mirent, et ce furent les contours d’un rythme aĂ©rien; elles frĂ©mirent, et ce fut l’harmonie qui suit le sillage des anges. Elles frĂ©mirent encore.... — et voici que d’inouĂŻes visions dĂ©rivent en mĂ©lodies cĂ©lestes, et que la robe de NovĂ©liane grandit comme un abĂźme oĂč des constellations se rĂ©vĂšlent dans l’éther... Tout est silence, mais la musique est nĂ©e. LillĂ©e, de toute son Ăąme, contemple le prodige. Il lui semble qu’au dedans de lui-mĂȘme s’ouvre une rĂ©gion immense et lumineuse, et que son cƓur vou- drait contenir tout l’univers. 11 sent un dĂ©sir indicible et suave, innombrable et sans but; il aspire Ă  tout ce qu’on ne peut voir... Parfois il cache ses yeux Ă©blouis, et puis il tend les mains, et ses regards s’unissent aux ailes de la FĂ©e et aux mouvements du noble corps... Car NovĂ©liane s’incline, tourne lentement ou s’immobilise, et la Danse divine enseigne la musique. Cependant NovĂ©liane a pĂąli sa lumiĂšre; d’abord sa chevelure comme une aurore Ă©vanouie, puis sa robe de lune et sa forme indĂ©cise, et la clartĂ© de ses ailes qu’elle a repliĂ©es. Mais NovĂ©liane est lĂ , dĂ©sormais invisible. Les flocons, sur son souffle, voltigent lĂ©gĂš- rement ; ils parient de grandes choses car l’haleine de la FĂ©e se noue Ă  leurs jeux qu’elle dirige ; leur danse. ALBERT MOGKEL 29 Ă  son tour, dit les merveilles cĂ©lestes, et les rythmes errants, et l’harmonie qui naĂźt de l’universel amour tient captive la course Ă©ternelle des sphĂšres... Puis, le souffle de la FĂ©e s’apaise; les flocons planent, suspendus, et chacun, tour Ă  tour, raconte au vieillard les fleuves et les montagnes, et les mers parcourues. Et l’un dĂ©crit les douces rives, quand s’éveille le visage mobile des eaux; les enfants jasent et se jouent parmi les Ă©glantines, car c’est l’étĂ©, les heures bruissent, et voici les jeunes filles qui s ’en viennent et dĂ©nouent leurs chevelures... Oh lointains, lointains souvenirs!... LillĂ©e se rappelle. Des baisers... des baisers, jadis, vers les lĂšvres qui balbutient, — et celle qui s’en est allĂ©e lorsqu’il parlait d’amour... Or le deuxiĂšme flocon dĂ©jĂ  vient et chuchote, mais sa voix paraĂźt grande car il dit la mer. Il dit le voyage, et les voiles du navire qui glisse vers de nouveaux cieux ; il dit la tempĂȘte, quand les carĂšnes se heurtent aux flots, et le cri dĂ©chirant des hommes en face de la mort. LillĂ©e revoit ses premiers songes, et ses yeux qui cherchaient l’espace, et les annĂ©es de sa jeunesse lorsqu’il se croyait fort Ă  culbuter le monde. C’est alors qu’il connut ses frĂšres, alors la foi, alors toute la vie et l’ivresse de la lutte oĂč la beautĂ© veut vain- cre... Mais le dernier flocon de neige dit la majestĂ© gla- ciale des cimes quand les nuages planent Ă  leurs pieds; il dit comment les pics roidissent dans l’orgueil leur immobile stature, et comme est rĂ©ginale la sĂ©rĂ©nitĂ© du silence... Oui, LillĂ©e se souvient. Il a vĂ©cu scellĂ© dans le silence, il sait par quel mĂ©pris il trouva la force d’exister. Toute la vie du passĂ© l’en- vironne. Des images, des images adorĂ©es ou haĂŻes se sont avancĂ©es des tĂ©nĂšbres ; par guirlandes unies, 3o CONTES POUR LES ENFANTS D’HIER dĂ©jĂ  les plus chĂšres lui parlent. Le front brĂ»lant, LillĂ©e les accueille. Mais elles sont des ombres ; elles n’ont d’autre langage que de sourire et faire des signes... Oh merveille! les signes, les sourires, voici qu’ils sont devenus mĂ©lodie! LillĂ©e les Ă©coute, LillĂ©e est enveloppĂ© d’ineffables musiques ; ces voix l’une Ă  l’autre enlacĂ©es naissent et renaissent en cantilĂšnes que vont Ă©crire ses doigts... Gomme des ondes lente- ment dĂ©roulĂ©es, comme des ondes venues d’un abĂźme, oh tout au fond de lui, des sons, des sons inconnus se rĂ©vĂšlent... Ils montent, ils se gonflent, ils dĂ©bor- dent en nuances fleuries, et LillĂ©e ne sait plus s’il y a dans son Ăąme des vagues, ou des chants qui s’épa- nouissent, ou des touffes de roses au soleil... — Qu’il achĂšve seul maintenant, ce que j’ai in- spirĂ©, murmura NovĂ©liane. Elle suspendit son souffle, et les trois flocons de neige tombĂšrent sur les pages noircies. Alors la FĂ©e se souleva du sol ; ses ailes frĂ©mirent, tandis qu’elle semblait hĂ©siter, et soudain elle s’enfuit, Ă©vanouie dans les tĂ©nĂšbres. Mais les flocons Ă©taient demeurĂ©s auprĂšs du Musi- cien. Fondus par son haleine, ils Ă©taient pareils Ă  trois larmes. Et ils scintillaient sur l’ƒluvre com- mencĂ©e que la foule, bientĂŽt, allait sentir marcher vers elle. Albert Mockel. LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART — De toutes les forces sociales qui peuvent aider Ă  l’ascension des peuples, il n"en existe peut-ĂȘtre pas de plus Ă©levĂ©es que l’Art. Annie Besant. Un disciple illustre de Platon, en mĂȘme temps que l’ami puissant de Phidias, le grand lĂ©gislateur PĂ©riclĂšs, un jour, Ă  AthĂšnes, laissa tomber de ses lĂšvres, cette sage et profonde parole, qui semble un Ă©cho vivant de la doctrine pythagoricienne Ne touche^ pas aux bases de la Musique^ vous tou- cheriez aux fondements mĂȘme de VEtat. En parlant ainsi, PĂ©riclĂšs formulait Je principe social de l’Art, dont l’essence est l’Harmonie, c’est-Ă - dire la BeautĂ©. L’homme d’état et l’homme d’art qui Ă©taient en lui rappelaient ainsi Ă  la GrĂšce que ce qui constitue l’un des Ă©lĂ©ments premiers de l’harmonie morale et intellec- tuelle d’une civilisation, c’est le sentiment du Beau, ou, pour plus de clartĂ©, l’action directe de ce senti- ment merveilleux sur les Ăąmes dans la formation des sociĂ©tĂ©s humaines. L’ordre et l’harmonie, personne ne saurait le nier sans dĂ©raisonner, sont des vertus sociales surĂ©mi- nentes. L’univers n’existe que par l’harmonie, et la haute formule, ordo ab chao, est l’une des plus formidables affirmations de la divinitĂ© de l’Harmonie dans les genĂšses primordiales du monde. Si l’har- 32 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART monie est l’essence des choses, si elle est la grande puissance Ă©quilibrante qui vibre au cƓur des mondes et au cƓur du moindre des atomes, si elle est, en un mot, le secret de Vunivers, elle doit ĂȘtre aussi l’es- sence et le secret de l’Etat. Or, c’est l’Art qui rend le plus directement sensible Ă  l’homme l’existence fondamentale de l’harmonie, cette harmonie universelle devant laquelle le matĂ©ria- lisme moderne est obligĂ© de balbutier sa derniĂšre et dĂ©sespĂ©rĂ©e admiration. * * * Le principe social de l’art se manifeste dĂ©jĂ  dĂšs les premiers Ăąges de l’humanitĂ©, aux Ă©poques obscures oĂč les civilisations naissantes sortent Ă  peine de la nuit des temps. Le document le plus indĂ©niable, la preuve la plus positive de l’avĂšnement de l’intelli- gence dans l’homme primitif et de l’élĂ©ment esthĂ©- tique qui la compose, le signe mĂȘme de l’évidence de la lumiĂšre mentale dans l’animal humain i, ne le trouvons-nous pas dans ce fait, rĂ©vĂ©lĂ© par la gĂ©ologie et l’anthropologie, que l’apparition de l’intelligence sociale dans l’homme date de ce moment extraordi- naire oĂč il a su fixer son sentiment du beau en une image, prise dans ks formes de la vie ambiante? Oui, c’est bien en traçant sur une matiĂšre brute, le dessin d’un objet vivant ou inanimĂ© dont il a voulu perpĂ©tuer le souvenir de beautĂ© et dont son intelli- gence avait Ă©tĂ© impressionnĂ©e, que l’homme prĂ©histo- rique rĂ©vĂ©la, dĂšs l’aurore de la race humaine, le prin- cipe social et intellectuel de l’Art. Or, le grand biologiste anglais, Huxley, a fait cette constatation que, jamais, dans la nombreuse sĂ©rie des espĂšces, aucun animal n’avait cherchĂ© Ă  reproduire par l’image ce qui l’entourait. L’art est inconnu aux animaux. i Voir pour ce qui concerne plus spĂ©cialement la donnĂ©e Ă©sotĂ©rique de l’évolution humaine ou de la gĂ©nĂ©alogie de l’homme Le MystĂšre de l'Evolution, par Jean Delville. — Lamertin, Ă©diteur, Bruxelles. JEAN DELVILLE 33 L’Art est donc bien le signe indĂ©niable de l’intelli- gence, de l’esprit, dans l’homme. DĂšs que l’homme a su penser il Ă©tait un artiste. De mĂȘme que c’est par l’image que les hommes primitifs exprimĂšrent leurs idĂ©es, de mĂȘme c’est dans le monde des images que les peuples prennent con- science des idĂ©es. Le sentiment du beau est insĂ©parable de la con- science mentale. L’une des caractĂ©ristiques de la psychologie de Tenfant, celle qui marque un stade important dans le dĂ©veloppement de son intelligence, c’est l’intĂ©rĂȘt grandissant que prend pour lui l’image. LĂ  encore nous trouvons une preuve que l’on ne saurait sĂ©parer la notion esthĂ©tique de l’évolution mentale de l’homme et que l’art joue dans la vie humaine un rĂŽle vital. L’évolution du sens esthĂ©tique correspond toujours Ă  un accroissement de conscience sociale, Ă  l’affine- ment de la sensibilitĂ©. Toute l’histoire de l’art nous dĂ©montre sa collaboration au progrĂšs humain. Par- tout, dans le monde, oĂč il y eut un germe de civilisa- tion, ce germe s’est manifestĂ© sous l’une des formes de l’art. C’est que le domaine esthĂ©tique constitue un fac- teur social d’une puissance psychique vraiment harmonieuse. L’Imagination est une puissance rĂ©elle dans l’homme. Sans imagination l’homme ne peut rien crĂ©er, rien inventer. Les facultĂ©s artistiques ne dĂ©rivent nullement de l’instinct, mais, au contraire, de l’esprit. L’Art est une des activitĂ©s propres de l’Esprit. Cette manifesta- tion de l’Intelligence humaine que l’on appelle le gĂ©nie artistique n’est donc point davantage un pro- duit artificiel, une fantaisie, un superflu qui n’a que des rapports relatifs et lointains avec le dĂ©veloppe- ment Ă©thique de la sociĂ©tĂ©. Le gĂ©nie artistique est inhĂ©rent au phĂ©nomĂšne de la vie comme la beautĂ© est inhĂ©rente Ă  la manifestation de l’univers. C’est pour avoir oubliĂ© que l’Art est une force civilisante et que ses racines plongent dans la genĂšse de l’ñme humaine, que la plupart des hommes d’Etat 3 34 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART d’aujourd’hui, ainsi que ceux qui reprĂ©sentent les pouvoirs publics, se font de l’esthĂ©tique, en gĂ©nĂ©ral, une conception mĂ©diocre et superficielle. C’est Ă©galement pour avoir oubliĂ© l’essence de l’esthĂ©tique et la mission de l’art dans le monde que la majoritĂ© des artistes d’aujourd’hui ont mis leur talent au service des Ă©motions infĂ©rieures et de la laideur. A quoi servent donc les Ă©coles des Beaux-Arts, oĂč l’on enseigne la BeautĂ© plastique, si la vie sociale cesse d’ĂȘtre imprĂ©gnĂ©e de cette beautĂ© et si les artistes eux-mĂȘmes orientent leur talent vers la laideur et la banalitĂ©? De quelle utilitĂ© sont les musĂ©es, si l’on y entasse des Ɠuvres oĂč le mauvais goĂ»t domine et d’oĂč l’intel- ligence de l’artiste est absente? Un grand esthĂšte anglais doublĂ© d’un sociologue, John Ruskin, a dit vrai, lorsqu’il Ă©crivit Il faut combattre le laid jusque dans la vie et Vayant proscrit de ses propres rĂȘves, V expulser de la rĂ©alitĂ©. » En effet, toujours, aux idĂ©es sociales l’on devrait appliquer les idĂ©es esthĂ©tiques. Les sociologues doivent ĂȘtre en mĂȘme temps des hommes d’art, s’ils veulent ĂȘtre de parfaits organisateurs de la vie humaine. Le beau est insĂ©parable de la vie sociale. La recherche du bonheur social entraĂźne nĂ©cessai- rement avec celui-ci l’efflorescence du beau. Les peuples malheureux et incultes, on le sait, n’ont point d’art. L’harmonie sociale n’est pas com- plĂšte, n’est pas possible, veux-je dire, sans la mani- festation de l’art, qui est la fleur mĂȘme et la joie du monde. Pourquoi cela? Parce que le beau est intimement liĂ© au bien, parce que le beau est la forme visible de l’Amour universel. Le monde social et le monde moral sont une mĂȘme chose. L’art participe des deux. Aussi, une immense responsabilitĂ© pĂšse sur l’homme d’Etat, le sociologue, et en mĂȘme temps sur l’artiste. D’une part, lorsque les pouvoirs publics n’encou- ragent pas l’expression la plus Ă©levĂ©e de l’art, ils^ JEAN DELVILLE 35 attentent Ă  une des forces vivantes de l’esprit ; d’autre part, lorsque les artistes se complaisent dans une reprĂ©sentation infĂ©rieure et triviale, ils compromet- tent l’art, ils manquent Ă  leur devoir idĂ©al et social. Cette notion du devoir esthĂ©tique au point de vue social peut paraĂźtre paradoxale. Cependant, il est aisĂ© de comprendre que ce devoir est basĂ© sur le pidrcipe social de Fart mĂȘme, et que ce principe social du beau prend des aspects puissants lorsque Ton sait le dĂ©gager des profondeurs des acti- vitĂ©s oĂč il se dissimule sous l’amas des apparences extĂ©rieures. Si, dans une sociĂ©tĂ©, nous tenons compte de l’effort collectif dans les diverses manifestations de l’énergie intellectuelle, nous sommes frappĂ©s de ceci Le mĂ©decin, quoique professionnel, accomplit son devoir social en luttant contre la Maladie. L’homme de gouvernement accomplit le sien en luttant contre la MisĂšre. Le jurisconsulte ou le magistrat luttent contre l’Injustice. L’avocat remplit son devoir en luttant pour le Droit. Le savant a pour devoir de lutter contre l’Igno- rance. Rassemblez ces Ă©nergies sensibles qui constituent, en rĂ©alitĂ©, non pas de simples professions lucratives, mais des activitĂ©s harmonisantes luttant contre l’ignorance, la misĂšre, la maladie, l’injustice, contre toutes les discordances qui troublent l’harmonie sociale, c’est-Ă -dire travaillant pour la rĂ©alisation d’un maximum de BeautĂ© dans le monde, et vous verrez que tout effort humain, toute Ă©nergie sociale, toute activitĂ© professionnelle ont pour but et pour devoir la rĂ©alisation de la plus grande somme pos- sible d’harmonie, de beautĂ©. Le Beau moral et le Beau esthĂ©tique sont adĂ©quats. C’est que la beautĂ© est le phĂ©nomĂšne culminant dans les phĂ©nomĂšnes de la vie, parce qu’il contient en lui toute l’immanence et l’infini de la Perfection, le but de l’Evolution cosmique et humaine tout entiĂšre. Vu de ce point de vue, il devient, en effet, aisĂ© de 36 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART comprendre la valeur du principe social du Beau et de l’Art, qui apparaĂźt en mĂȘme temps comme un principe d’évolution et de perfectibilitĂ©. * * * Vouloir que le monde soit beau, vouloir que ia vie soit belle, vouloir que les beaux-arts ornent de leur paisible et Ă©motionnante splendeur ia sociĂ©tĂ©, c’est vouloir le Bien de l’humanitĂ©. Si donc les luxueuses et stĂ©riles fortunes qui font la honte de certains riches pouvaient servir Ă  la pro- duction d’une plus grande BeautĂ© sociale, c’est-Ă -dire Ă  l’EsthĂ©tique vivante des peuples, un pas immense serait fait vers le progrĂšs humain. C’est un subtil philosophe et un pschychologue trĂšs pĂ©nĂ©trant qui a dit peut-ĂȘtre que le culte des choses belles est le plus sĂ»r guide vers la solution des problĂšmes sociaux. » Et, en effet, de la contempla- tion des belles choses naissent la joie, le bonheur. Ceux qui admirent sont bons. Les grands artistes, malgrĂ© leurs vicissitudes, ont eu des vies heureuses. LĂ  ou l’homme, les peuples, n’ont rien Ă  admirer, ils s’ennuient et deviennent grossiers. Ainsi donc, l’on peut dire que l’admiration esthĂ©- tique entre dans la sĂ©rie des remĂšdes sociaux. Chaque fois qu’un homme se trouve en face d’une grande Ɠuvre d’art, il se sent agrandi, une sorte de rayonnement intĂ©rieur augmente la rĂ©ceptivitĂ© de sa conscience, il a la sensation heureuse et troublante d’ĂȘtre enrichi d’intelligence, de bontĂ© ou d’amour. C’est que la nature mĂȘme de l’émotion esthĂ©tique ne constitue pas seulement un plaisir, mais une Ă©lĂ©- vation de la vie morale et spirituelle de l’ĂȘtre. Inconsciemment, la vibration ae son Ă©motion admi- rative a rĂ©veillĂ© en lui l’un des principes spirituels de son ĂȘtre intĂ©rieur, car ce ne sont point les sens seuls qui interviennent dans le sentiment du beau, mais c’est surtout l’esprit qui perçoit la BeautĂ©, l’Harmonie, et qui vibre, en accord, avec elles! Ceci, je le sais, peut sembler quelque peu roman- tique Ă  ceux qui se sont fait de l’esthĂ©tique une con- JEAN DELVILLE ^7 ception matĂ©rialiste et physiologique, tout en igno- rant la psychologie occulte de l’homme, car c’est, prĂ©cisĂ©ment, cette incurable ignorance de V occultisme qui caractĂ©rise les esthĂštes du protoplasme. Pour le grand nombre, art sous-entend sensualitĂ©. Ils ne demandent Ă  l’art qu’une sensation visuelle agrĂ©able, dans le sens physique du mot. Et quand, malgrĂ© eux ils sentent, au fond d’eux-mĂȘmes, tout le mystĂšre qui enveloppe une Ɠuvre oĂč quelqu’artiste de gĂ©nie a su rendre visible la mystĂ©rieuse puissance de l’esprit, ils n’écoutent pas cette suprĂȘme rĂ©vĂ©lation que l’art souffle en leur conscience Ă©paissie. Tant de psychologues modernes essayĂšrent de dĂ©finir la nature de l’émotion esthĂ©tique, sans y par- venir, parce qu’ils se sont basĂ©s sur des donnĂ©es pure- ment physiques. Il en est rĂ©sultĂ© une vĂ©ritable matĂ©- rialisation de l’art, et les artistes, imbus de thĂ©ories dĂ©lĂ©tĂšres, croient faire bien en ne faisant appel qu’à l’incohĂ©rence de leur nature infĂ©rieure. Cette phase,, heureusement, touche Ă  sa fin. La conception de l’art tend, malgrĂ© tout, Ă  s’élever, et des aspirations, nouvelles apparaissent. Les psychologues et les phi- losophes commencent Ă  dĂ©clarer que u le sens esthĂ©- tique est le grand ressort de la vie proprement spiri- tuelle ». En vĂ©ritĂ©, l’art est le travail de l’esprit dans la matiĂšre. * * * Les harmonies de la nature correspondent ^aux harmonies des ĂȘtres. L’Art est l’expression de correspondances mystĂ©- rieuses. S’il est vrai que les arts plastiques nous montrent des beautĂ©s matĂ©rielles au moyen des sens, il est encore plus vrai que le plaisir esthĂ©tique qui dĂ©coule de la contemplation de ces beautĂ©s s’adressent Ă  l’ñme, Ă  l’esprit, bien plus qu’aux sens mĂȘmes. Le sens esthĂ©tique est une facultĂ© interne de l’homme, facultĂ© qui lui permet de ressentir devant la beautĂ© matĂ©rielle des impressions psychiques immatĂ©rielles. L Art a donc plutĂŽt pour objet de faire sentir Ă  l’homme l’immatĂ©rialitĂ© essentielle des choses, l’on 38 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART ne peut sentir ou comprendre l’immatĂ©rialitĂ© des choses que par le principe immatĂ©riel de l’intelli- gence et de l’esprit. Si, comme certains critiques d’art se l’imaginent encore, le sens du beau dĂ©pendait uniquement des sensations physiques, les ĂȘtres les plus grossiers, les plus sensuels, devraient ĂȘtre les plus grands artistes, les plus sĂ»rs critiques. Or, il faut bien le reconnaĂźtre, c’est le contraire qui se constate. Ne sont-ce pas d’ailleurs les ĂȘtres chez lesquels l’imagination domine normalement les sens — car l’Imagination est une facultĂ© supĂ©rieure aux sens — qui se montrent les plus aptes, non seu- lement Ă  percevoir les multiples et subtils aspects du beau, mais aussi Ă  le crĂ©er? Puisqu’il est avĂ©rĂ© que l’artiste s’amĂ©liore par son art et que l’art de l’artiste peut rendre meilleure l’ñme des hommes, n’est-il donc pas indispensable de chercher Ă  Ă©lever sans cesse le niveau de l’Art, et les artistes n’ont-ils point le devoir de hausser le niveau de leur sensibilitĂ©? L’artiste, au lieu de rechercher des succĂšs faciles par une production machinale d’Ɠuvres Ă  peu prĂšs identiques et oĂč l’on ne distingue plus les activitĂ©s crĂ©atrices de l’esprit, ferait mieux acte d’art et d’intel- ligence en faisant servir son art Ă  sa propre Ă©volu- tion. Les vrais artistes ne sont point ceux qui peignent ou qui sculptent pour assouvir un instinctif plaisir de sculpter ou de peindre. Les vrais artistes, qu’ils soient peintre, sculpteur, architecte, musicien, sont ceux qui ont su se construire un idĂ©al de BeautĂ© avec les Ă©nergies spirituelles de leur ĂȘtre et avec les forces naturelles de la vie. Comme les mystiques qui, Ă  force d’idĂ©al contemplĂ©, finissent par trouver en eux-mĂȘmes cette grande puissance transformatrice par oĂč l’homme devient lui-mĂȘme ce qu’il adore », ainsi les vrais artistes rĂ©flĂštent dans leurs Ɠuvres l’idĂ©al devant lequel ils se sont placĂ©s. La plupart des artistes ont encore une esthĂ©tique bourgeoise et jouisseuse. Leur psychologie est le reflet exact de la bourgeoisie ambiante Ă  laquelle ils JEAN DELVILLE 39 s’adaptent complaisamment avec une facilitĂ© com- promettante. Rares sont ceux qui, sur l’autel de l’art, ont le courage de sacrifier leur Ă©goĂŻsme artistique, qui se rĂ©sume dans la capitalisation des succĂšs. Les artistes mĂ©diocres, comme le bourgeois, s’écartent instinctivement du grand art, parce qu’ils sentent que cela exige trop de dĂ©sintĂ©ressement. Ils en ont peur — la mĂȘme peur qu’éprouve l’imbĂ©cile en face d’un homme de gĂ©nie. Combien y a-t-il d’artistes qui comprennent la portĂ©e sociale et humaine de leur vocation et qui se disent, comme l’a si nettement affirmĂ© Schiller Il faudrait que le beau se prĂ©sentĂąt comme une condition nĂ©cessaire de VhumanitĂ©l » Il y a beaucoup d’hommes qui font des tableaux et beaucoup d’autres hommes qui font des sculp- tures, sans que la grande et pure lumiĂšre de l’Art illumine leurs mains, sans que l’Amour du Beau exalte leur Ăąme. N’est-ce point en employant plutĂŽt des thĂšmes idĂ©aux s’élevant au-dessus des contingences infĂ©- rieures et banales, que les artistes agiront d’autant mieux sur la vie morale des peuples? Michelet a dit vrai V enfantement du gĂ©nie est le type de V enfantement social. L'Ăąme de l'homme de gĂ©nie, cette Ăąme visiblement divine, puisqu'elle crĂ©e comme Dieu, c'est la citĂ© intĂ©rieure sur laquelle nous devons modeler la citĂ© extĂ©rieure, afin qu'elle soit divine aussi. » Rien ne saura empĂȘcher que l’art, en gĂ©nĂ©ral, ne prenne de plus en plus dans la sociĂ©tĂ© le rĂŽle d’une force Ă©ducative, consciente de sa mission. L’heure est venue de pĂ©nĂ©trer la sociĂ©tĂ© d’art, d’idĂ©al, de beautĂ©. La sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui tend trop Ă  tomber dans l’instinct. On l’a saturĂ©e de matĂ©ria- lisme, de sensualisme et de ... mercantilisme. L’art moderne a trop servi de prĂ©texte Ă  toutes les impures nĂ©vroses de la laideur du siĂšcle. La prĂ©domi- nance d’une conception platement rĂ©aliste et imita- tive — impressionniste ou non — est le rĂ©sultat dĂ©sĂ©quilibrant d’une rĂ©action d’ailleurs salutaire contre la po’.icivitĂ© acadĂ©mique de jadis. De trop 40 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART Ă©vidents mĂ©diocres se complurent dans l’incohĂ©- rence du moment et la notion de l’art, avec ses plus hautes possibilitĂ©s plastiques et idĂ©ologiques, en fut Ă©tourdiment compromise. Le modernisme », au lieu d’ĂȘtre un Ă©largissement, une expansion plus intĂ©grale de toutes les facultĂ©s artistiques dans le domaine de l’universelle beautĂ©, ne fut, en rĂ©alitĂ©, qu’un aplatissement et une limitation. Le natura- lisme, cette grande calamitĂ© artistique, n’a pas com- pris la Nature. Il a seulement imitĂ© des choses laides et matĂ©rielles. Ceux qui se rĂ©clament encore de lui et ceux — un peu honteux de lui — qui se cachent sous le masque de l’impressionnisme, manquent de clairvoyance. Ils ne voyent pas, en effet, que l’idĂ©o- logie picturale, le grand idĂ©alisme dĂ©coratif et monumental, dĂ©gagĂ© de toute servitude acadĂ©mique, est un art nettement moderne et que, mĂȘme, il doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant l’art synthĂ©tique et social de l’avenir. Le symbole des modernes est la pensĂ©e, comme le signe des temps futurs sera l'esprit. Toute l’évolution des activitĂ©s humaines se mesure Ă  l’effort qu’elles rĂ©alisent pour dĂ©gager l’homme des fatalitĂ©s inertes de la matiĂšre. C’est la seule vraie gloire de ce monde que celle qui consiste Ă  savoir, par la victoire sur la matiĂšre, nous rapprocher de la sagesse, de la vĂ©ritĂ©, de Ta beautĂ©. La matiĂšre, n’a d’existence rĂ©elle qu’en raison de l’occasion qu’elle nous offre de lutter contre ses attractions et contre ses illusions. Tout chef-d’Ɠuvre est non pas de la matiĂšre imitĂ©e, mais vaincue. Ceci n’est point un paradoxe. C’est la clef de toute crĂ©ation, de toute Ă©volution. C’est aussi le sens mĂȘme de l’Art, dont l’élĂ©ment vital doit ĂȘtre la pensĂ©e dans ses multiples et variables expressions plastiques. Rodin, le plus moderne des artistes, est le plus penseur. Or, il est le plus penseur, et il est le plus puissamment plastique/ C’est que la pensĂ©e, quoi qu’en disent quelques dilettantes sensualistes et quelques acadĂ©miciens dĂ©cĂ©rĂ©brĂ©s, loin d’ĂȘtre incompatible avec les exi- gences de la plasticitĂ© visuelle de l’art, en est, au contraire, vĂ©ritablement l’élĂ©ment vital et crĂ©ateur. JEAN DELVILLE 41 La pensĂ©e profonde du Vinci a-t-elle paralysĂ© sa puissance technique? Jamais. Au contraire, la per- fection plastique s’extĂ©riorise et se manifeste avec plus de magie dans les Ɠuvres du grand florentin d’autant que sa pensĂ©e est plus profonde et plus subtile. Il est d’ailleurs faux que le rĂ©alisme ait le monopole de la RĂ©alisation. Depuis quand l’artiste doit-il ĂȘtre un ignorant et une Ăąme plate? Depuis que le rĂ©alisme lui a interdit d’avoir un cerveau et de l’imagination. Mais les temps sont changĂ©s. A cĂŽtĂ© de l’esthĂ©tisme morbide et sans virilitĂ© qui erre sans but, sans idĂ©al, et qui a trop longtemps sĂ©vi pour ne satisfaire que les dĂ©liquescences d’une Ă©lite de snobs en rupture de bourgeoisie, il est consolant de constater que le concept d’art s’amplifie. Une gĂ©nĂ©ration nouvelle, dĂ©daignant Ă  la fois le fla- mingĂątisme et le libre-esthĂ©tisme, ces deux aspects d’art dĂ©pourvus de grandeur et de beautĂ©, affirme de jour en jour sa volontĂ© crĂ©atrice orientĂ©e vers les grands symboles de la vie et de l’idĂ©e humaines. Cultiver petitement et Ă©taler Ă©goĂŻstement sa a per- sonnalitĂ© » dans les serres chaudes de l’esthĂ©ticoma- nie ou croupir bĂȘtement dans les torpiditĂ©s sensua- listes d’une tradition nationale surannĂ©e, quoi de moins susceptible d’engendrer la BeautĂ© de puis- sance! Les vrais Modernes ne sont point ceux qui s’accomodent avec l’avilissante perversitĂ© des choses contemporaines par une esthĂ©tique dĂ©gĂ©nĂ©rescente. Les vrais Modernes sont ceux qui, comprenant, enfin, la valeur plastique des IdĂ©es, savent que l’art doit Ă©clairer l’ñme sociale au lieu de se contenter de la reflĂ©ter. La vraie culture esthĂ©tique, le vĂ©ritable art nouveau est lĂ . Et c’est la renaissance du grand Art. De trĂšs significatifs symptĂŽmes d’intellectualitĂ© artistique sont apparus triomphalement partout, en Angleterre, en Allemagne, en France, en Belgique, en Hollande. En ce qui concerne plus spĂ©cialement notre pays. 42 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART dont rĂ©volution intellectuelle croissante provoque, de jour en jour, l’élargissement de l’horizon artis- tique, l’on peut dire que ce que la critique chauvine appelle encore la peinture flamande » devient un anachronisme de plus en plus Ă©vident. Ce qui con- stitue la gloire picturale du passĂ©, les splendeurs traditionnelles des primitifs flamands et de l’époque rubĂ©nienne, s’est assez misĂ©rablement perpĂ©tuĂ© dans la forme dĂ©gĂ©nĂ©rescente d’un rĂ©alisme sans grandeur. Si la soi-disant peinture flamande » s’est mĂ©dio- crisĂ©e sur la palette appesantie de quelques paysa- gistes, de quelques animaliers et de quelques peintres de genre dĂ©pourvus d’ñme et d’intelligence, il n’en est pas moins vrai que, en dĂ©pit des prĂ©jugĂ©s vieillots, le gĂ©nie artistique de la race belge a pris, depuis peu, un aspect nouveau et une expression plus Ă©levĂ©e. Cette tendance n’est point accidentelle ni Ă©trangĂšre au tempĂ©rament de la race. Elle est, au contraire, un phĂ©nomĂšne national qui se manifeste naturelle- ment, parce que la Belgique, enfin dĂ©gagĂ©e de l’em- prise des dominations historiques qui Ă©puisĂšrent ses sĂšves personnelles, reprend conscience de ses forces, de sa vĂ©ritable personnalitĂ© racique rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e. Art belge va reprendre un vol large et nouveau vers une sphĂšre supĂ©rieure. Tout l’immense et riche fond d’imagination et d’idĂ©alitĂ© solides du gĂ©nie pictural, trop longtemps Ă©touffĂ© et paralysĂ© sous les Ă©paisseurs d’une psychologie placide et veule, appa- raĂźtra au grand jour avec une impulsion qui Ă©ton- nera. DĂ©jĂ  la sculpture, qui n’a pas eu Ă  subir, elle, la tyrannie de la tradition flamande » comme c’a Ă©tĂ© le cas pour la peinture, vient prouver que le concept artistique belge peut s’élever jusqu’aux plus sublimes et aux plus puissantes crĂ©ations. Il en est de mĂȘme delĂ  littĂ©rature. qui, elle aussi, n’ayant pas Ă  traĂźner aprĂšs elle le poids immobilisant d’une tradition fla- mande, s’est, Ă  larges et glorieux coups d’ailes, Ă©lancĂ©e dans le monde des idĂ©es. La peinture, qui est l’ex- pression la plus caractĂ©ristique de l’ñme belge, son don natif, Ă  son tour, va s’épanouir. Et l’on s’éton- nera de voir la richesse des ressources du gĂ©nie JEAN DELVILLE 43 pictural, lorsqu’il sera dĂ©finitivement orientĂ© vers une rĂ©alisation moins Ă©troite et plus idĂ©ale i. * * Les thĂšmes de reprĂ©sentation plastique se renou- vellent sous la forme du grand art dĂ©coratif, et la peinture, adaptant mĂȘme les mythes anciens Ă  des idĂ©es vivantes, reprend son rĂŽle monumental et social. Camille Mauclair, dans sa remarquable Ă©tude sur La peinture symbolique future, a, lui aussi, Ă©lo- quemment revendiquĂ© les droits suprĂȘmes de l’art Ă  l’imagination, Ă  l’idĂ©ologie, montrant tous les Ă©lĂ©- ments nouveaux de beautĂ© que la vie sociale et la pensĂ©e moderne apportent Ă  la rĂ©alisation du grand art. Et, en effet, de nouvelles et puissantes harmonies de couleurs et de lignes peuvent se crĂ©er par la symbolisation des idĂ©es modernes et ĂȘtre appliquĂ©es aux nĂ©cessitĂ©s de l’ornemental itĂ© artistique. L’Art s’accorde avec les exigences de tous les temps, de toutes les nations, et tous les temps et toutes les nations sont susceptibles de recevoir leur expression d’art. L’incompatibilitĂ© n’existe que dans l’impuissance personnelle d’adaptation des uns et des autres. D’étroits utilitaires ont stupidement rejetĂ© le beau de l’utile, comme si ces deux Ă©lĂ©ments d’activitĂ© sociale Ă©taient, eux aussi, incompatibles. Or, ils sont insĂ©parables, car celui qui rĂ©alise l’utile d’une maniĂšre dĂ©sintĂ©ressĂ©e devra inĂ©vitable- ment rĂ©aliser le beau. C’est mĂȘme d’une conception plus parfaite de l’utile et d’une conception plus pure du beau que naĂźtront des groupements humains plus harmonieux et que les citĂ©s s’embelliront. ] C est d’ailleurs ce que l’un de nos plus Ă©ridits Ă©crivains d’art, M. Fierens-Gevaert, s’est efforcĂ© de dĂ©montrer avec une rare Ă©loquence et un enthousiasme Ă©clairĂ©, au cours de ses rĂ©centes confĂ©rences sur l’Art au XIX^ siĂšcle et son expres- sion en Belgique ». 44 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART De mĂȘme qu’il faut replacer l’art dans le cƓur, dans le cerveau et dans l’ñme de l’artiste et de l’homme, de mĂȘme il faut replacer l’art dans son principe social. Les artistes, comme les poĂštes, ne sont utiles Ă  l’humanitĂ© qu’en raison de ce qu’ils rendent sensibles, par l’Art, les plus hautes pensĂ©es, les plus hauts sentiments, les plus hautes aspirations. Dans la hiĂ©rarchie des forces nationales supĂ©- rieures, les Artistes, comme les Savants, reprĂ©sentent la PensĂ©e publique. La fouie, quoi qu’on en dise, est sensible aux grandes choses, parce que la foule a l’émotion vierge et saine. Il suffit de lui montrer des choses belles et sublimes pour que, sans comprendre, analytiquement parlant, la foule en soit touchĂ©e. Il est Ă©vident qu’il existe un a instinct » populaire, mais e suis beau- coup plus certain que cette puissance anonyme que l’on appelle ainsi, n’est point une force absolument obscure et aveugle et que l’ñme des foules est Ă©clairĂ©e par la lumiĂšre intĂ©rieure de l’intuition. Quelle mystĂ©rieuse et profonde facultĂ©, en effet, que cette immense intuition des peuples! Quelle Ă©trange analogie elle a avec le gĂ©nie ! Les foules comprennent le gĂ©nie et le gĂ©nie com- prend les foules. Il existe entre cette conscience collective et cette conscience individuelle des affinitĂ©s puissantes. Le lien qui relie l’ñme des gĂ©nies Ă  l’ñme des peuples, c’est le divin sentiment du Beau, c’est l’Art dans sa manifestation sociale. * * * Une vĂ©ritĂ© tiop facilement oubliĂ©e est que la mis- sion de tous les arts consiste dans la reprĂ©sentation des IdĂ©es. MĂ©taphysique ! rĂ©pondront dĂ©daigneusement Ă  cela ceux qui reprĂ©sentent, Ă  cette heure, le panbĂ©otisme. Nul cependant, qui a quelque peu conscience du phĂ©nomĂšne esthĂ©tique, ne niera que les arts reprĂ©sen- tatifs, tels que l’Architecture, la Peinture, la Sculp- ture, nous montrent le travail latent des IdĂ©es que JEAN DELVILLE 45 renferment les matĂ©riaux esthĂ©tiques. Or, il n’y a pas de plus haut exemple pour les peuples que celui oa apparaĂźt, d’une maniĂšre objective, la puissance de la crĂ©ation artistique dont l’homme civilisĂ© dispose. L’HumanitĂ© sait puiser dans cet exemple de l’évi- dente beautĂ© jaillie de la matiĂšre des Ă©nergies morales considĂ©rables, car la dignitĂ© de l’ĂȘtre humain se mesure non seulement Ă  la qualitĂ© de ses actions, mais aussi au degrĂ© de la force crĂ©atrice dont il se sent capable. Le mystĂšre de l’art est ressenti par les foules en raison mĂȘme de la puissance crĂ©atrice qui se dĂ©gage des Ɠuvres. C’est en face des rĂ©alisations de la beautĂ© que le sentiment profond de la Construction, facultĂ© intel- lectuelle inhĂ©rente au type humain, se rĂ©vĂšle et s’affirme. L’homme est essentiellement constructeur et crĂ©a- teur dans le sens le plus Ă©tendu, le plus idĂ©al, le plus esthĂ©tique, et les arts, en gĂ©nĂ©ral, sont des extĂ©riori- sations de sa puissance constructrice et crĂ©atrice innĂ©e. Toute la surface de la planĂšte nous offre le spectacle changeant de la crĂ©ation humaine dans le sens de la beautĂ©. MĂȘme sur les ruines des civili- sations Ă©teintes plane toujours, comme un immortel enchantement, Ă  travers le chaos des pierres sĂ©cu- laires, le gĂ©nie de la puissance crĂ©atrice de beautĂ©, fleur toujours vivante de l’intelligence humaine. Les idĂ©es incarnĂ©es dans les belles formes ne pĂ©rissent donc pas, puisque nous en retrouvons l’essence jusque dans les vestiges matĂ©riels du PassĂ©. C’est que, vraiment, la mission de tous les arts consiste dans la reprĂ©sentation des IdĂ©es. L’art public rĂ©sume donc l’une des activitĂ©s les plus harmonieuses de la vie, car la construction et l’embellissement des citĂ©s humaines offrent aux hommes l’occasion grandiose de dĂ©ployer, en splen- deurs et en harmonies visibles, les idĂ©es essentielles qui prĂ©sident Ă  la construction et Ă  la crĂ©ation divines des mondes. L’Inde antique, la GhaldĂ©e, l’Égypte, la Perse, la GrĂšce, la Rome, la Byzance, le Moyen-Age, la 46 LE PRINCIPE SOCIAL DE L’ART Renaissance se perpĂ©tuent dans la mĂ©moire des peuples modernes, grĂące Ă  ce que nous en a lĂ©guĂ© l’art, l’art public, l’art dans sa manifestation sociale. La beautĂ© et la grandeur de ces immenses Ă©tats d’ñme que l’on appelle les civilisations antiques nous apparaissent encore dans leurs vestiges. C’est que l’art envahit la vie mĂȘme d’une civili- sation, sa vie civile et religieuse avec l’énergie et la beautĂ© panthĂ©istiques d’une force naturelle. L’ñme et la pensĂ©e des peuples sont fixĂ©es dans ses monuments depuis l’ñme Ă  la fois fastueuse et mĂ©taphysicienne de l’Orient antique, objectivĂ©e dans la colossalitĂ© de ses palais et de ses temples, jusqu’à l’ñme chrĂ©- tienne et dĂ©votieuse d’Occident, traduite dans la sombre majestĂ© de ses monuments religieux et civils. Il semble qu’une force mystĂ©rieuse et splendide pousse toujours les grands peuples Ă  fixer les richesses de leur intelligence et de leurs activitĂ©s dans une forme de beautĂ©. Dans toutes les grandes villes sortent de terre, comme par une sorte de miracle artistique perma- nent, des Ă©difices somptueux et graves qui synthĂ©- tisent la splendeur d’une Ă©poque, l’aspect visible de ses IdĂ©es. Qui nous dira un jour la psychologie profonde du monument? Q_ui nous dira le secret de cette puissance crĂ©a- trice de l’Art, ce besoin innĂ© du Beau des sociĂ©tĂ©s humaines, apparaissant sans cesse dans l’inĂ©puisable imagination de l’artiste, de l’artisan, et qui a le don de transformer la nĂ©cessitĂ© en une FĂ©e, la FĂ©e de l’EsthĂ©tique! L’artiste et l’artisan, soumettant la matiĂšre aux impulsions inventives de leur imagination, en mĂȘme temps qu’aux nĂ©cessitĂ©s de l’espace et du temps, ne font que manifester dans des formes l’IdĂ©e humaine. C’est que la BeautĂ© est un besoin social supĂ©rieur. Toutes les substances, l’or, l’argent, la pierre, la soie, la couleur, le bois, le marbre, le fer, etc... qui reçoivent la double empreinte, mentale et manuelle, de la VolontĂ© EsthĂ©tique, sont faites pour assouvir ce social besoin de BeautĂ©. JEAN DELVILLE 47 Chaque fouille effectuĂ©e dans le vaste empire des ruines ensevelies met cru jour, pour l’émerveillement croissant des peuples modernes, l’exemple glorieux de l’effort humain vers le beau, attestant ainsi que l’art est une activitĂ© incompressible et intarissable de l’esprit de l’homme. Quel que soit le caractĂšre parti- culier des races et des Ă©poques, quel que soit leur degrĂ© d’évolution sociale, le gĂ©nie constructeur et artistique de l’humanitĂ© apparaĂźt. Ce gĂ©nie original se montre aussi bien dans les primitives et frustes constructions lacustres que dans la splendeur des architectures babyloniennes. C’est cette mĂȘme puissance innĂ©e dans l’homme qui se rĂ©vĂšle chez les obscurs et patients entasseurs de pilotis des citĂ©s lacustres comme chez les Assyriens qui taillaient, dans les carriĂšres de ChaldĂ©e, les formidables blocs de marbre monolithiques. BĂątir, orner, dĂ©corer, quels merveilleux pouvoirs de l’intelligence humaine! Aussi, le phĂ©nomĂšne esthĂ©tique, apparaissant sans cesse dans la vie intime et publique des sociĂ©tĂ©s, loin de laisser indiffĂ©rents les pouvoirs publics et les Etats d’aujourd’hui ou de demain, devrait ĂȘtre accueilli comme un bienfait social et comme l’un des plus hauts aspects de l’activitĂ© humaine. Puissent-ils se rendre compte de l’utilitĂ© de l’exis- tence d’un organisme comme celui de V Institut inter- national de V Art Public i. Puissent-ils rĂ©pondre Ă  son appel en l’aidant Ă  ne pas augmenter la laideur qui menace la vie moderne, en attendant que la BeautĂ© renaisse partout et en tout et que l’Harmonie devienne quelque chose comme une Religion d’Etat ! Jean Delville. i Il ne sera point hors de propos de rappeler que l’institue international de l’Art Public a Ă©tĂ© fondĂ© Ă  Bruxelles par un artiste belge, M. EugĂšne Broerman, auquel revient l’honneur d’avoir su grouper, au nom de la BeautĂ© publique outragĂ©e, un vigoureux faisceau de hautes personnalitĂ©s internationales, dont le but est de lutter contre l’indiffĂ©rence et contre l’ignorance des Pouvoirs en ce qui concerne l’esthĂ©tique sociale. Selon le vƓu unanime Ă©mis au dernier CongrĂšs de l’Art Public de LiĂšge, en igo3, une importante revue internationale illustrĂ©e d’art public vient d’ĂȘtre fondĂ©e Ă  Bruxelles et paraĂźtra bientĂŽt, richement Ă©ditĂ©e et savamment documentĂ©e. LES TOMBEAUX A Emile Verhaeren. I LA PYRAMIDE DE GHÉOPS VĂ©tĂ©ran l Tii survis au monde vieillissant. Par V amoncellement de tes pierres sans nombre, Tu semblĂ©s Ă©ternel. Ton Ă©tendue encombre Le dĂ©sert oĂč poudroie un sable incandescent. Comme tu montes haut quand le Soleil descend. Quand jusqu'au Nil grandit ton interminable ombre, Qiiand ton versant de Lest pĂąlit dans la nuit sombre, Et que V astre au dĂ©clin rougit Vautre versant \ Un jour un potentat qui rĂ©gnait sur l'Egypte Voulut te renverser de la cime Ă  la crypte. Son peuple s'Ă©puisa dans l'effort impuissant. Le temps n Ă©branle pas ta base impĂ©rissable, Rempart au pied duquel meurt la trombe de sable. Chaque siĂšcle qui naĂźt, pour toi n'est qu'un passafit. JULES LECLERCQ. 49 II LE MAUSOLÉE DU SHAH JEHAN Le Taj est un palais d'ivoire et de cristal^ Dont chaque minaret en son Ă©lan s’isole Dans l’éclatant ciel hleu. Comme un rĂȘve il s’envole^ Un rĂȘve Ă©ternisĂ© par l'art oriental. La merveille surgit sur un blanc piĂ©destal D’albĂątre de Jeypore. Une ardente aurĂ©ole Semble planer autour de la haute coupole OĂč resplendit le feu du croissant de mĂ©tal. Le Mogol Ă©leva ce poĂšme de marbre Au milieu d'un jardin enchanteur, dont chaque Raconte les hauts faits de l'immortel hĂ©ros, [arbre ChĂąteau magique, fait d’azur et de 7'osĂ©e, Et de rais de Soleil, le Taj est l'ElysĂ©e OĂč Shah Jehan jouit du cĂ©leste r^epos. III LE TOMBEAU DE L’ÉMIR Il est dans Samai'cande un tombeau grandiose, Dans son linceul y dort, par un garde veillĂ©, Tamerlan le Mongol, qu’honore, agenouillĂ©. Le peuple du pays que le vieux Sogd ai'rose. 4 5o LES TOMBEAUX Dans cette sombre crypte, oĂč le Turcoman n'ose Balbutier son nom, de peur que, rĂ©veillĂ©, Il n'ouvre du caveau le couvercle rouillĂ©. Le ConquĂ©rant depuis cinq longs siĂšcles repose. Quand le croyant s'incline auprĂšs de Tamerlan En invoquant Allah dans un pieux Ă©lan, Du monarque Ă  ses yeux l'image se prĂ©cise. Il croit voir le grand mort dans sa tombe dormir. Et son glaive posĂ© sur sa robe d'Ă©mir. Que recouvre Ă  demi son ample barbe grise. IV TOMBEAUX DE ROIS Les soirs ardents, mon Ăąme en un rĂȘve s'envole Vers la citĂ© qui dort de son trĂšs long sommeil Dans la jungle sans fin, sous les feux du Soleil. De l'Inde d'autrefois ce fut la mĂ©tropole. On s'y croirait perdu dans une nĂ©cropole. Parmi les vieux tombeaux, au ton chaud et vermeil. Au fond desquels les rois attendent le rĂ©veil Des dieux qui leur rendront leur antique aurĂ©ole. Au milieu des dĂ©bris des temples, des palais. On dit qu'on voit parfois un prince cinghalais Cheminer l'Ɠil pensif, plein de mĂ©lancolie. Il pleure son royaume au merveilleux dĂ©cor. Il songe aux jours lointains de sa gloire abolie. Vers la terre abaissant son diadĂšme d'or. JULES LECLERCQ. 5l V LE TOMBEAU DU MALABAR Dans des temps Jahuleux, dignes de VllĂŻadey On vit sous le Soleil de l'Inde un grand tournoi OĂč chaque combattant Ă©tait un fils de roi MontĂ© sur un superbe Ă©lĂ©phant de parade. Tout un peuple s'Ă©tait rangĂ© le long du stade. Et des yeux Ă©piait anxieux, plein d'effroi. Les deux rivaux venus en magnifique arroi, Se portant tour Ă  tour quelque large estocade. De l'armure AsĂ©la sut ti'ouver le dĂ©faut. Elala succomba dans un suprĂȘme assaut, Loyalement frappĂ© par le roi lĂ©gitime. Vingt siĂšcles ont passĂ© sur ce geste si beau. Du vaincu s'Ă©ternise, immense, le tombeau Dont l'immortel vainqueur lui fit l'hommage ultime. VI LA PAGODE DE JAVA Dans la sĂ©rĂ©nitĂ© d'un beau matin vermeil, Gravissons les gradins de la pagode antique, A l'heure oĂč les oiseaux entonnent leur cantique. De Vile merveilleuse annonçant le rĂ©veil. 52 LES TOMBEAUX L'Ă©difice gĂ©ant resplendit au Soleil^ Et le regard se perd de portique en portique Sur ce vieux panthĂ©on de style hiĂ©ratique Qui n'a point sous le ciel de l'Inde son pareil. Le temple^ Ă©difiĂ© dans un jardin d'Armide, Profile dans Va^ur sa noble pyramide. Du culte oriental suprĂȘme floraison. Ce poĂšme de marbre, ou l'art du statuaire Eternisa l'essor d'une ardente oraison, Chante le dieu qui trĂŽne au fond du sanctuaire. VII LE TOMBEAU DE PAUL ET VIRGINIE A Montplaisir, au sein du pai'c de Pamplemousse, J'ai vu l'humble tombeau des deux jeunes amants Dont l'immortelle idylle a peint les traits charmants. Il s'Ă©rige au milieu d'un vert tapis de mousse. A V horizon surgit le fier piton du Pouce, D'oĂč Paul vit, assiĂ©gĂ© de noirs pressentiments, Le vaisseau faire voile au grĂ© des Ă©lĂ©ments, De la vague houleuse essuyant la secousse. Le feuillage et le vent me semblaient murmurer Que Paul et Virginie Ă©taient venus errer Sous les grands lataniers qui protĂšgent leurs ombres. Et que de fois ensemble ils allĂšrent prier Dans l'Ă©glise voisine aux vieilles voĂ»tes sombres ! Il est triste et dĂ©sert, leur vieux banc de laurier. JULES LECLERCQ. 53 VIII UNE TOMBE AU SPITSBERG Sur ce rugueux rocher dĂ©sert^ au bout du monde^ OĂč la brume dĂ©ploie un vĂȘtement de deuil. Humble pĂȘcheur! fai vu ton fragile cercueil, Et mon cƓur s'est Ă©mu d'une pitiĂ© profonde» Pour enrichir les tiens, ton fils, ta fille blonde, Tu traversas les flots, tu bravas maint Ă©cueil; Du pĂŽle Nord enfin tu sus gagner le seuil. Ta demeure devint ce roc au bord de Fonde» Mais lĂ  tu fus bloquĂ© par un jour sombre, amer, Sans abri, sans espoir de regagner la mer, Que vint fermer soudain la barriĂšre de glace. Nul ne pleure sur toi, pauvre mort dĂ©laissĂ©! Mais FaquiloĂźt qui souffle, et la vague qui passe Avec des sons plaintif s frĂŽlent ton corps glacĂ©. IX LES TOMBES DE WEENEN Pierre Relief, avec une ti'oupe choisie, Est en pompe reçu par le roi du Natal. Il vient, inconscient de son destin fatal, Ignoi^ant des Zoulous toute F hypocrisie. 54 LES TOxM BEAUX Che\ Dingaan ce n’est que feinte courtoisie. Il accueille son hĂŽte, et puis donne un signal, Et ses gens, prĂ©venus de son plan infernal, S’élancent, enflammĂ©s d’une Ăąpre frĂ©nĂ©sie . Que leur sang coule l » crie Ă  haute voix le roi. Les Boers, garrottĂ©s, pris de stupeur et d’effroi. N’ont pas mĂȘme le temps de bondir sur leurs armes. Retief et tous les siens succombent en hĂ©ros. A Weenen, dont le nom amer se traduit Larmes », Est l’humble cimetiĂšre oĂč blanchissent leurs os. X LES TOMBES DES BOERS De leur terre les Boey^s n’ont gardĂ© qu’un lambeau. LĂ  dorment leurs guerriers d’hĂ©rdique stature. Des plantes et des fleurs sur chaque sĂ©pulture, Et des saules pleureurs prĂšs de chaque tombeau. L’herbe verdoie autour du funĂšbre flambeau Qu’une, main cisela sur cette humble clĂŽture. A ces grands morts parait sourire la nature. Des 7'osesl Du soleil l Que ce jardin est beau l Les braves prieraient-ils pour le vaincu qui tombe Et dĂ©poseraient-ils des palmes sur sa tombe Si lalmort ne devait leur ĂȘtre que la mortel Toute une flore naĂźt de leur vert cimetiĂšre. LĂ  s’ Ă©teint une vie, une autre vie en sort. Ainsi naissentjdes nuits l’aurore et la lumiĂšre. JULES LECLERCQ. 55 XI LES TOMBES DE L’INDE Un poĂšte de VInde, en son divin recueil, Chante un enjant Ăź^avi, frĂȘle encore, Ă  sa mĂšre. Pauvre femme l D'une ombre elle fit sa chimĂšre, Inclinant sur le marbre un long voile de deuil. Un jour l'ange lui dit MĂšre, sĂšche ton Ɠil. Ne verse plus de pleurs sur ma vie Ă©phĂ©mĂšre. Car mon linceul se mouille Ă  chaque larme amĂšre. Mais ton sourire emplit de roses mon cercueil. » L'Hindou croit que les morts, du fond de leur {demeure Songent souvent encore Ă  celui qui les pleure. Qu'ils pĂ©nĂštrent son cƓur et lisent dans ses yeux. Et dans cette croyance, une douce fleur tombe Sur les jeunes enfants descendus dans la tombe. Et leur mĂšre leur donne un yƓgard radieux. XII TOMBES JAVANAISES Que ne puis-je choisir ma derniĂšre demeure l Dans Vile de Java, sous d'immenses bambous. S'abritent les tombeaux oĂč l'on prie Ă  genoux. Pour couvrir un cercueil il n'est d'ombre meilleure. 56 LES TOMBEAUX Sous ces roseaux gĂ©ants, dont lejeuillage pleure,. Avec ceux qui me sont le plus chers, avec tous. Je voudrais reposer. Leur ombrage est si doux l Il soupire, il gĂ©mit quant le \Ă©phyr V effleure. Il semble qu'Ă  Java les arrĂȘts de la mort Soient encor plus cruels que sous nos deux du Nord^ Dont le sourire est empreint de tristesse. Qui pourrait sans regret dire un dernier adieu Aux vallons parfumĂ©s de Vile enchanteresse Auxquels sont prodiguĂ©s tous les prĂ©sents de Dieu ! Jules Leclercq.. LA BLESSURE Ding... Ding... C’est l’horloge, dans sa vieille gaine de chĂȘne noirci, l’horloge qui remplit du rythme de sa vie tout un coin de la petite cuisine, poussant de ses maigres aiguilles, sur l’émail usĂ© du cadran, derriĂšre la vitre dĂ©polie, les heures, les mornes heures. Tout doucement ThĂ©odore se rĂ©veille. Il lui semble bien qu’il venait Ă  peine de fermer les yeux, dans son fauteuil garni en maroquin, que la Dame du chĂąteau lui a fait apporter aux PĂąques derniĂšres. Il rĂȘvait... Ă  je ne sais quoi, qu’il a oubliĂ© maintenant. Marie-JosĂšphe Marjet, dit-on souvent par abrĂ©- viation et par amitiĂ© est lĂ , Ă  coudre ou Ă  repriser. Elle lĂšve les yeux, au-dessus de ses lunettes, sur ThĂ©odore. Ils sont un peu malicieux, je crois. Elle aussi, peut-ĂȘtre, s’était assoupie? Pourtant elle a la coquetterie de ne point faire sa sieste ! Elle ne dit mot. Sa main va, elle va, elle va, Ă  l’ouvrage! Coucou... fait tout aussitĂŽt la pendule de bois de la chambre Ă  coucher, dont la porte baille. Alors, une joie secrĂšte, muette, agite la petite vieille, tandis que le petit vieux se met Ă  rire haut par secousses. Il le connaĂźt, le bon tour de sa femme ; il aurait dĂ» y penser, duand l’horloge sonne deux coups, il ne manque jamais de sortir de son somme, comme au temps oj, Ă  cette heure, il reprenrdt la 58 LA BLESSURE semelle, l’empeigne et l’alĂšne. Et la farceuse, qui le sait, n’a-t-elle pas inventĂ©, depuis l’autre jour, de toucher parfois trĂšs vite aux branches du compas qui mesure les demies et les quarts, et de les presser un peu, de les presser ? Elle aime mieux que ThĂ©odore ne dorme pas tant que cela aprĂšs leur simple repas. Et puis, elle Ă©prouve une grande allĂ©gresse devant une petite confusion qu’il a en face d’elle, d’avoir encore une fois Ă©tĂ© jouĂ© ! — Je savais bien, fait-il, il ne se peut qu’il soit dĂ©jĂ  deux heures. Le soleil est seulement dans les fenĂȘtres de l’école... Lorsqu’il prononce ces mots, il n’a plus de dĂ©pit, plus du tout, et il considĂšre sa femme avec une grande bontĂ© Il y a prĂšs d’un demi-siĂšcle qu’ils vivent ensemble dans la petite maison. Ils y Ă©taient Ă  peine entrĂ©s quand on construisit la grand’route. Un moment, lorsqu’on en ouvrait la tranchĂ©e, ils se trouvĂšrent comme isolĂ©s sur une butte. Ils ont un seuil de six marches, songez ! Ils formaient un couple fort bien tournĂ©. On les regardait passer, le dimanche, quand ils se rendaient Ă  la messe, alertes et se redressant Ă  l’envi. ThĂ©odore Ă©tait cordonnier jusqu’à naguĂšre encore. Il clouait de grosses bottes pour les grands pieds lourds des fermiers et cousait de fins brodequins, qui ne manquaient pas tout Ă  fait de forme, pour chausser les censiĂšres, les jeunes filles. Il faisait mĂȘme les souliers de chasse de M. le Baron et les bottines de promenade de Baronne. Eh! on enviait ThĂ©o- dore ! Il en concevait bien un peu de fiertĂ©, dites ! Marie-JosĂšphe, elle, Ă©tait lingĂšre. Elle servait une clientĂšle de choix, la cure et le chĂąteau avant tout. Ses grandes prunelles noires, toujours belles, ont au ARTHUR DAXHELET ^9 long des jours et des veillĂ©es d’hiver lentement Ă©teint leurs feux, Ă  suivre le point de son aiguille sur le linge blanc. Mais, jadis, comme elles Ă©taient trou- blantes! Du moins on le prĂ©tend. ThĂ©odore s’en souvient bien, allez! Il en a souffert, raconte-t-on en faisant allusion aux hommages admiratifs que l’on a prodiguĂ©s autrefois Ă  sa moitiĂ©. Sait-on jamais ? Les Ă©poux ont vieilli ensemble, un peu chaque jour, sans Ă©prouver aucune grande peine ni aucune grande joie. Bien des soirs, cependant, Marjet, quand elle Ă©tait plus jeune, a pleurĂ© de ce que leur union ne fĂ»t pas fĂ©conde ; et ThĂ©odore regrette parfois encore de n’avoir pas de fils, Ă  qui laisser son fonds. Lorsqu’il a cessĂ© de travailler, il y a quinze mois, aprĂšs une petite paralysie, dont sa langue demeure un peu lente et sa jambe gauche un peu lourde, il n’a pu se dĂ©cider Ă  cĂ©der ses formes » sur lesquelles il a montĂ© tant et tant de chaussures. Elles sont toujours lĂ , dans le petit Ă©tabli, rangĂ©es dans leur Ă©tagĂšre, avec leurs inscriptions Monsieur le CurĂ© », Monsieur Legros », Mademoiselle Miroux », etc. Ah! c’a Ă©tĂ© sa vie, cela! Oui, s’il avait eu un fils! Il se serait appelĂ© comme lui ThĂ©odore, sĂ»rement. Son aĂŻeul dĂ©jĂ  avait Ă©tĂ© baptisĂ© ainsi. A quoi bon inventer d’autres noms? Et il serait lĂ , maintenant, Ă  manier le tranchet ou Ă  corder son fil ou Ă  l’enduire de poix... ThĂ©odore va chaque jour encore dans le petit rĂ©duit oĂč il a passĂ© prĂšs de dix lustres. Il aime l’odeur forte et empyreumatique dont la piĂšce basse demeure imprĂ©gnĂ©e... Ah! s’il avait eu un fils!... Mais ce n’est pas un gros chagrin qu’ils en ressentent, lui et sa femme. Rien qu’une mĂ©lancolie, douce, et qui est comme une façon de communier d’amour, Ă  l’ñge oĂč ils sont... AprĂšs tout, les enfants souvent ne sont qu’une source de revers pour leurs parents... 6o LA BLESSURE Est-ce Ă  cela que songent les deux vieux ? Il est deux heures maintenant; le coucou l’a dit aussitĂŽt que l’horloge eut dĂ©jĂ  frappĂ© la demie-aprĂšs. Leur dĂ©sac- cord a mĂȘme ramenĂ© un sourire, vite effacĂ©, sur les lĂšvres du vieillard... Ils n’ont plus rien dit. Les fenĂȘtres de la maison de l’instituteur se sont Ă©teintes. ThĂ©odore remarque que le soleil est de plus en plus pĂąle depuis quelque temps. On est dĂ©jĂ  bien avant dans l’automne... Chaque matin, par la fenĂȘtre, il regarde longuement du cĂŽtĂ© du bois. Les feuilles mortes tourbillonnent au moindre vent. Une brouĂ©e flotte, voilant les loin- tains. Les champs de la ferme des Sarts dĂ©coupent leurs carrĂ©s de terre grise. Des bandes d’oiseaux passent. Ferdinand, le sacristain, sort de chez lui pour aller sonner la messe. Il a enfoncĂ© sa casquette jusqu’aux oreilles et la bise ballonne son sarrau... Non, les chevaux du mĂ©tayer de la Roseraie ne passeront pas, avec les valets d’écurie se dandinant Ă  cru sur les lourdes cavales les labours sont finis... Et le bĂ©tail des Trixhes ne quitte plus les Ă©tables la route ne sera point, tout-Ă -l’heure, obstruĂ©e par le troupeau des vaches rousses et noires qui balancent leurs gros mufles rosĂ©s comme des encensoirs... BientĂŽt ce sera l’hiver. ThĂ©odore frissonne en y pensant ; l’hiver ! le froid hiver ! Quelqu’un, sur le chemin, lui dit bonjour d’un signe de tĂȘte. Il ne le reconnaĂźt pas ; sa vue a tant baissĂ© ! De cela il se sent un peu mĂ©lancolique... Il va s’asseoir, alors, non loin du foyer et croise les mains. Elles sont toutes blanches, maintenant, ses mains, avec les ongles plus longs qu’autrefois, que Marjet de temps Ă  autre coupe et façonne de ses ciseaux... Et toute la journĂ©e, il reste ainsi. Un flot tiĂšde et ARTHUR DAXHELET 6l tranquille inonde tout son ĂȘtre dĂ©sormais sans aspi- rations, presque sans souvenirs. Il se sent comme allĂ©gĂ© par avance du poids de la vie. Il est deux heures et demie maintenant. Le chat ronronne d’aise derriĂšre le poĂȘle. La bouilloire s’est mise Ă  chanter. Elle lance jusqu’au plafond bas son panache de fumĂ©e. Mais ce n’est pas encore le moment de faire le cafĂ©. Le serin aussi se rĂ©veille ; il chante plus fort que la bouilloire. ThĂ©odore et Marie- JosĂšphe sentent comme une lĂ©gĂšre angoisse s’en aller d’eux. Le silence Ă©tait trop profond. — Fifi... fi-fi... fait-elle. Et lui s’informe si l’oiseau a de quoi manger et boire. Soudain ils sursautent un peu, en mĂȘme temps. Quelqu’un a touchĂ© Ă  la porte, a mis la main au loquet, qui se relĂšve avec un petit bruit sec. — Ah! c’est ThĂ©rĂšse! disent-il ensemble. C’est, en effet, la filleule de ThĂ©odore qui entre alors. — Bonjour parrain ! Bonjour Marjet !... Je passais en allant au moulin. . . Je ne m’arrĂȘte guĂšre, l’ouvrage presse trop Ă  la maison... Alors, c’est dimanche la fĂȘte aux prunelles » ; on jettera Ă  l’oie chez Modeste et on dansera chez Mouly... Il a gelĂ© ferme la nuit de lundi Ă  mardi, vous savez, et il y a de la neige dans l’air... Les braconniers ah! quelle affaire, n’est-ce pas !, hier soir encore, se sont battus avec les gendarmes appostĂ©s pour les surprendre... La tende- rie de Constant lui rapporte gros cette annĂ©e... Sa langue va, court, sans s’arrĂȘter. Marie-JosĂšphe parvient Ă  placer son mot par ci par lĂ . ThĂ©odore Ă©coute, la tĂȘte penchĂ©e en avant, faisant un cornet de sa main Ă  son oreille gauche qui est un peu dure. ThĂ©rĂšse ne veut pas s’asseoir. Elle viendra une autre fois... pour causer! — Au revoir, parrain! Au revoir Marjet! 62 LA BLESSURE Elle se sauve, vive, sautillante comme un cabri. La porte se referme, mais aussitĂŽt elle se rouvre. — A propos, j’oublie de vous dire que Monsieur le curĂ© a portĂ© tantĂŽt les saintes huiles » au garde François. Cette fois, le loquet retombe. — Le garde François!... Ah! mon Dieu!... ThĂ©odore et Marjet ont poussĂ© ce cri en mĂȘme temps. Lui s’est levĂ© presque tout droit, s’arcboutant sur les bras du fauteuil. Elle, glacĂ©e jusqu’aux moelles, s’est sentie comme clouĂ©e Ă  sa place par une main de fer. Mais aussitĂŽt, tous deux, ils affectent un air indiffĂ©rent et, du regard, ils cherchent mutuel- lement Ă  pĂ©nĂ©trer leur pensĂ©e secrĂšte. Elle s’enhardit et laisse tomber ces mots — Il Ă©tait donc malade? C’est absurde, ce qu’elle dit lĂ . Il y a plus de deux ans que le garde François meurt lentement et nul ne l’ignore dans le village. Elle se reprend — Je veux dire il allait donc plus mal ? ThĂ©odore fait signe qu’il ne le sait. Elle le sent fermĂ©, irritĂ©, prĂȘt Ă  Ă©clater. Elle dit encore — Il y a juste trente-cinq ans, Ă  pareille Ă©poque, son pĂšre fut tuĂ© d’un coup de fusil. Il avait fait grand vent cette nuit-lĂ . Jamais, n’est-ce pas, on n’a revu au pays ce coureur de bois, ce bandit de Cretel qui fut soupçonnĂ© d’ĂȘtre le meurtrier?... La pauvre Marjet vient de s’empĂȘtrer lĂ  dans une fĂącheuse histoire. — Oui, prononce sĂšchement le vieux, il y a trente- cinq ans... Le cadavre fut retrouvĂ© le lendemain. C’est ce jour-lĂ  que l’Innocent » de Hosdin me remit le billet maudit... Marie-JosĂšphe se trouve cinglĂ©e par ce rappel. ThĂ©odore, lui, s’apparaĂźt Ă  lui-mĂȘme tel un justicier ARTHUR DAXHELET 63 austĂšre. Ils se soudain trĂšs distants l’un de l’autre. Le garde François est entre eux. Depuis de longues annĂ©es pourtant ce souvenir n’a plus Ă©tĂ© Ă©voquĂ©. Souvenir d’heures de cauchemar, que le cordonnier a vĂ©cues jadis. L’éternelle histoire, l’anonyme dĂ©nonciation Que ThĂ©odore sache donc que la jolie Marjet, quand elle reporte son ouvrage aux CresnĂ©es, passe volontiers par le bois et aime y rencontrer le garde François. » Ah! certes, le beau gars dont on parlait, s’arrĂȘtait souvent Ă  la fenĂȘtre prĂšs de laquelle Marie JosĂšphe travaillait et il causait lĂ , en caressant ses soyeuses moustaches noires. Il Ă©tait bien pris dans son costume de velours Ă  grosses cĂŽtes, avec ses guĂȘtres brunes, son chapeau mou. Il avait la taille haute, les mains soignĂ©es, un teint frais. Il sentait la bonne odeur de la forĂȘt... Mais jamais ThĂ©odore n’a pu relever la moindre charge contre les prĂ©tendus amants. Il a Ă©piĂ©, surveillĂ©, cherchĂ©. En vain. Il a finalement montrĂ© la lettre accusatrice Ă  sa femme. Elle n’en a point paru troublĂ©e. Elle en a mĂȘme ri tout haut, comme une petite folle, et aussitĂŽt qu’elle l’a pu, elle en a parlĂ© Ă  François en prĂ©sence de son mari! Dissimulaient-ils, François et elle, Ă  la perfection ?... DĂšs lors, le garde ne s’est plus arrĂȘtĂ© Ă  la fenĂȘtre de la maison du cordonnier. Et Marie-JosĂšphe a cessĂ© de travailler pour ses clients des CresnĂ©es. On n’a plus parlĂ© de cette misĂšre-lĂ  ». Pourtant, parfois encore, ThĂ©odore a cru sentir saigner la blessure de son cƓur, quand il s’est imaginĂ©, le dimanche Ă  l’heure de la messe, que des regards ironiques pesaient sur lui. Mais les propos qu’on lui adressait, parais- saient si sincĂšrement amicaux! Mais, dans tous les yeux, quand il considĂ©rait les choses de sangfroid, il n’y avait que de la bonne humeur et de la sympa- thie!... Son souci s’est usĂ© peu Ă  peu. 64 LA BLESSURE Gomment expliquer le rĂ©veil d’une douleur si ancienne dĂ©jĂ ? Comment la blessure, depuis si long- temps fermĂ©e, s’est-elle rouverte tout Ă  coup? Il lui semble qu'un tourbillon soulĂšve sa cervelle dans son crĂąne. Il Ă©prouve subitement au sein mille morsures cruelles. La jalousie le fouette de ses laniĂšres, elle le perce de ses poignards. Son cƓur est serrĂ© comme dans un Ă©tau. Par une Ă©trange suggestion, il croit voir devant lui le garde François, tel qu’il Ă©tait il y a trente-cinq ans, et il le hait pour la premiĂšre fois, il le hait de toute son Ăąme. Ah! qu’il meure donc!... Et la bles- sure saigne, saigne tout le sang de son cƓur... Marie-JosĂšphe ne lĂšve pas les yeux de dessus son ouvrage. Elle est ennuyĂ©e d’avoir peinĂ© ThĂ©odore. Il fallait bien que cette Ă©cervelĂ©e de ThĂ©rĂšse vĂźnt ainsi, en coup de vent, les troubler par l’annonce de cette nouvelle !... Marjet a laissĂ© sans rĂ©ponse l’allusion mordante de son vieux compagnon. Elle n’a plus rien trouvĂ© Ă  dire. Elle a cherchĂ© pourtant, elle n’a cessĂ© de chercher... L’horloge sonne trois coups. Marjet enfin a une idĂ©e. Elle dĂ©pose sa couture et se lĂšve. — Ah! il est temps de songer Ă  notre tasse de cafĂ©! fait-elle. Et elle ose alors regarder le vieux. — Ah! Seigneur JĂ©sus ! Au secours!... Et sa voix s’étrangle dans sa gorge. Qu’a-t-elle donc vu? La tĂȘte renversĂ©e, les yeux mi-clos et noyĂ©s, les doigts des mains crispĂ©s, les lĂšvres entr’ouvertes, ThĂ©odore, que l’apoplexie envahit, rapidement glisse vers l’inconscient... Arthur Daxhelet. BLANC & NOIRS UNE PAGE HÉROÏQUE DE LA VIE D’EXPLORATION EN AFRIQUE CENTRALE C’était au dĂ©but de igoS. En plein Bahr-el-Ghazal, au contact de deux mille hommes de troupes anglo-Ă©gyptiennes. Les officiers anglais, en termes aussi courtois qu’énergiques, protestaient contre notre prĂ©sence. Nous continuions nĂ©anmoins — couverts par le traitĂ© de Berlin — Ă  Ă©tendre notre occupation du pays contestĂ©. L’épisode que je vais dire montrera dans quelles conditions infiniment dĂ©licates, et fera connaĂźtre Ă  mes lecteurs un jeune officier belge d’un mĂ©rite et d’un courage au-dessus de tout Ă©loge. * 5fC * Pendant que plusieurs fortes colonnes anglaises, venant de l’est et de l’ouest, combinaient leurs mou- vements pour arriver chez le chef ManguĂ©, hĂ©ritier du grand M’Bio qui venait d’ĂȘtre tuĂ© dans une ren- contre avec les Anglais, je donnai mission Ă  mon second, le lieutenant d’artillerie Paulis, d’aller occuper le village d’un sous-chef de ManguĂ©, avec 5 66 BLANC ET NOIRS qui j’avais liĂ© amitiĂ© lors de mon passage chez lui, quelques semaines auparavant. MalgrĂ© mes efforts je n’avais pas rĂ©ussi Ă  voir ManguĂ© en personne, et j’avais estimĂ© devoir nous borner Ă  nous installer chez le susdit sous-chef, de son nom lango. Voici ce que, Ă  ce sujet, je lis dans mon journal de route Jeudi 16 fĂ©vrier 1905. » Je signale au gouvernement, avec un plaisir sincĂšre et une certaine fiertĂ©, que mon second, le lieutenant Paulis, s'est offert Ă  aller spontanĂ©ment » chez ManguĂ©, avec seulement vingt-cinq soldats. » J’avais l’intention de ne l’envoyer que jusque chez lango, dont le village est situĂ© par 40 49’ de latitude et 29» i5’ de longitude est Greenwich. » — Non, dit Paulis, chez ManguĂ© tout de suite. » Comme je sais le grand ascendant que Paulis a su prendre dans le pays, j’accĂšde Ă  sa proposition. » C’est Ă  lui que revient tout l’honneur de cette dĂ©ci- sion qui va marquer fortement notre occupation, » car le village de ĂźsĂŻanguĂ© est Ă  l’ouest du 29e mĂ©ri- dieu. Ce texte guillemetĂ© est extrait d’un rapport au gouvernement. Ce qui va suivre est la lettre que m’adressait le lieutenant Paulis, pour me rendre compte de l’exĂ©cution de mes instructions. Village du chef ManguĂ©. Le vendredi 24 fĂ©vrier ipoS. Mon commandant, J’espĂšre que le rĂ©sultat auquel je suis arrivĂ© vous satisfera ; ce rĂ©sultat n’a pas Ă©tĂ© obtenu sans peine et. CHARLES LEMAIRE 67 si je n'ai pas obtenu plus, c’est par suite de circon- stances indĂ©pendantes de ma volontĂ©. Comme vous le savez, j’ai quittĂ© la MĂ©ridi le dimanche ig fĂ©vrier, avec deux gradĂ©s et vingt-deux soldats. Je comptais m’installer chez ManguĂ© avant que personne ait pu songer Ă  me mettre des bĂątons dans les roues. J’arrivai assez tĂŽt au village de Moumbelli oĂč je m’arrĂȘtai pour permettre Ă  mes porteurs de se reposer de leur longue Ă©tape de la veil e. Les habitants semblaient inquiets; mais, aprĂšs que je leur eus expliquĂ© le but de mon voyage, ils se rassurĂšrent et j’eus bientĂŽt beaucoup plus de vivres que je ne pouvais en emporter. Je n’ai pas manquĂ© de dire aux indigĂšnes que la lune allait ce jour lĂ  mourir » au commencement de la soirĂ©e pour reprendre peu aprĂšs sa forme premiĂšre. GrĂące Ă  l’éphĂ©mĂ©ride que j’avais avec moi, je pus leur annoncer d’avance en quels endroits du ciel serait la lune quand l’éclipse commencerait et quand elle finirait; la fin du phĂ©nomĂšne n’a pu ĂȘtre observĂ©e Ă  cause des nuages, mais ce que les indigĂšnes en ont vu a suffi pour me faire acquĂ©rir la rĂ©putation du parfait sorcier. Pendant la nuit est arrivĂ© un homme du chef Moumbelli m’avertissant que les Anglais avaient demandĂ© Ă  MabĂŽ un guide pour le lendemain; aussi, voulant mettre une bonne distance entre eux et moi, suis-je parti la nuit mĂȘme avec l’intention d’arriver chez lango. Au village Bombandja oĂč je suis arrivĂ© vers 7 1/2 h., le 20 fĂ©vrier, m’attendait un Ă©missaire que lango m’avait envoyĂ© pour me prier de sĂ©journer chez Bombandja oĂč lango lui-mĂȘme viendrait me parler. Je me suis donc arrĂȘtĂ© chez Bombandja. lango est bientĂŽt arrivĂ©, escortĂ© de tous ses fils et des chefs de la rĂ©gion qui Ă©taient rĂ©unis chez lui avec tous leurs guerriers. J’ai recommencĂ© mon petit boniment et tous ont 68 BLANC ET NOIRS approuvĂ© l’idĂ©e d’aller chez ManguĂ© pour y fonder un poste. Les poules et les vivres affluĂšrent au point que j’ai eu crainte de me trouver Ă  court d’articles d’échanges avant d’arriver chez ManguĂ© ; j’ai alors payĂ© ce qu’on m’apportait au moyen de bons Ă  toucher soit Ă  TirĂ©, soit Ă  la MĂ©ridi, soit chez moi plus tard. La confiance des indigĂšnes Ă©tait telle que, dans la suite de mon voyage, j’ai toujours payĂ© au moyen de bons. Ce jour-lĂ , lango dĂźna Ă  ma table. Le lendemain, 21 fĂ©vrier, je suis arrivĂ© chez lango; ceiui-ci m’attendait dans son village et avait fait prĂ©parer Ă  manger pour tout mon monde. Pendant que soldats et porteurs se restauraient sur le sentier, lango m’invita Ă  visiter son village. Il m’y prĂ©senta sa ferrime principale, fille de ManguĂ©, Ă  laquelle je fis un cadeau. J’ai dressĂ© l’itinĂ©raire Ă  partir du village de lango. Le sentier pique dans l’ouest et suit Ă  fort peu prĂšs le parallĂšle du village de lango. Au pas 10,000, j’ai traversĂ© l’Issou et je me suis arrĂȘtĂ© pour la nuit au pas 12,600, sur l’Iba. Kassia, fils de lango, me servait de guide. Le lendemain, 22 fĂ©vrier, aprĂšs une petite marche de 8,400 pas, je suis arrivĂ© au ruisseau Kayoungou O Ă  lango m’avait priĂ© de m’arrĂȘter et oĂč, m’avait-il dit, il viendrait me voir avec ManguĂ©. Dans la soirĂ©e de ce jour m’est arrivĂ© Bokojo, fils de ManguĂ©, qui a dĂźnĂ© avec moi et m’a dit que ManguĂ© viendrait le lendemain. Pendant l’entretien que j’avais avec Bokojo, un envoyĂ© de lango est venu nous dire que les Anglais Ă©taient sur nos talons et avaient logĂ© prĂšs du point oĂč moi-mĂȘme j’avais logĂ© l’avant-veille. J’envoie aussitĂŽt un homme dire Ă  ManguĂ© qu’il ne vienne pas demain Ă  la Kayoungou, car je dĂ©sire continuer ma route de façon Ă  ne pas ĂȘtre distancĂ© chez lui par les Anglais. Je lui fais dire de ne pas s’effrayer, que quand je serai chez lui, il n’aura rien Ă  craindre et sera sous ma protection. CHARLES LEMAIRE 69 Pendant la nuit, l’envoyĂ© vient me dire que Man guĂ© m’attendait chez lui et que je serais le bienvenu. Bokojo logea dans mon campement. A la pointe du jour, le lendemain 23 fĂ©vrier, je me mis en route. AprĂšs environ to, 000 pas, j’entrai dans les villages de ManguĂ© oĂč je trouvai tous les indigĂšnes trĂšs confiants. Au pas 12,000, je fus rejoins par un Ă©missaire de lango; ce dernier me faisait dire que les Anglais avaient passĂ© la nuit prĂšs de son village et que lui et tous ses gens se disposaient Ă  se cacher dans la brousse. J’essayai, mais en vain, de rassurer l’envoyĂ©. Quand je voulus reprendre ma marche, je m'aperçus que Bokojo n’était plus avec moi ; il Ă©tait filĂ© en avant jeter l’alarme dans les villages. A partir de ce moment ce fut le vide absolu plus un habitant dans les villages ; leurs feux encore allu- mĂ©s montraient d’ailleurs que l’abandon ne datait que de quelques minutes. Je vis bientĂŽt reparaĂźtre Bokojo qui me dit que son pĂšre avait pris peur et s’était sauvĂ© avec tous ses gens, mais que je trouverais dans son village, oĂč Bokojo allait me conduire, le cadeau qu’il avait fait prĂ©parer pour moi. J’arrivai Ă  la rĂ©sidence de ManguĂ© vers 1 1 heures, au pas 18,900. Dans une sorte de zĂ©riba en paille, je trouvai, en etfet, un amoncellement de paniers de vivres et envi- ron vingt-cinq petites dĂ©fenses d’élĂ©phant. Je dis Ă  Bokojo que j’acceptais les vivres et que je les paierais, mais que je ne voulais pas d’ivoire. Bokojo nous conduisit alors un peu plus loin au bord de la riviĂšre Makiba, affluent du SouĂ©, oĂč ManguĂ© avait fait dĂ©brousser un grand emplacement Ă  mon intention. Je commençai directement la construction d’un hangar et j’envoyai un azandĂ© de l’escorte de Bokojo dire Ă  ManguĂ© que s’il voulait venir me dire bonjour, il serait le bienvenu et n’aurait rien Ă  craindre. J’attendis, une, deux, trois heures sans voir venir BLANC ET NOIRS mon homme. Bokojo me dit alors que sans doute ManguĂ© avait peur de mes soldats. Je lui rĂ©pondis que s’il voulait me conduire chez ManguĂ©, j’irais seul avec mon interprĂšte. Bokojo y consentit et je partis Ă  1 5 heures dans la direction du Au moment de partir m’arriva votre lettre n» 83 1 . Bokojo m’avait dit que ManguĂ© se trouvait Ă  proximitĂ©; mais au bout de pas je lui dĂ©clarai que la nuit allait tomber et que je ne voulais pas laisser mes soldats tout seuls. Je lis donc chercher tout mon monde et je conti- nuai ma route. Au pas dans un petit village, Bokojo me dit que nous n’arriverions pas chez ManguĂ© avant la nuit. Je rĂ©solus alors de m’arrĂȘter, bien dĂ©cidĂ© Ă  retourner le lendemain Par Marie-Christine WassmerPubliĂ© le 12/05/2011 Ă  0h00 Horticulteur et pĂ©piniĂ©riste, Henri Vergez partage son goĂ»t pour les plantes et fleurs. DĂšs le printemps, les professionnels du jardin sont Ă  la tĂąche. Qu'ils soient arboriculteurs, fleuristes, horticulteurs, maraĂźchers, pĂ©piniĂ©ristes ou paysagistes, ils exercent leur activitĂ© sur de la matiĂšre vivante et participent ainsi d'un nouveau mode de vie. De fait, ils sont soumis aux impĂ©ratifs tels que la nature des sols, le cycle biologique des vĂ©gĂ©taux, la climatologie, les problĂšmes phytosanitaires soins des arbres et arbustes et le respect de l'environnement, des paramĂštres qui s'imposent Ă  chaque saison. Esprit crĂ©atifHenri Vergez est horticulteur indĂ©pendant avec plus de 50 ans d'expĂ©rience, et pĂ©piniĂ©riste depuis plus de 30 ans. Dans ses pĂ©piniĂšres de Peyrefaure, il allie aujourd'hui un esprit crĂ©atif pour aider les amateurs ou amoureux des fleurs et des espaces verts Ă  concevoir dans le souci de l'esthĂ©tique un coin de poĂ©sie dans leur jardin ou leur potager. De nos jours, les mĂ©tiers du jardinage et du paysage se diversifient et se dĂ©veloppent Ă  un rythme soutenu car ils sont considĂ©rĂ©s comme absolument essentiel Ă  notre cadre de vie. Un proverbe chinois dit que Celui qui plante un jardin, plante le bonheur ». Mais ce sont surtout les mouvements Ă©cologiques qui ont eu une vraie influence sur le jardinage. En intĂ©grant la prĂ©servation de la biodiversitĂ©, cette activitĂ© est entrĂ©e dans une sorte d'Ă©cologie naturelle et ainsi notre mĂ©tier constitue aujourd'hui des espaces de bien-ĂȘtre ».La commercialisation des plants et graines est assurĂ©e par des jardineries installĂ©es dans des zones commerciales mais les particuliers comme les entreprises d'entretien d'espaces verts reviennent de plus en plus vers le site de production. À la recherche de conseils dans la pratique mais aussi dans l'art de semer, planter, maintenir les fruits, fleurs, lĂ©gumes, arbres fruitiers et d'ornements ainsi que divers autres produits vĂ©gĂ©taux afin de les maintenir dans des conditions idĂ©ales pour leur dĂ©veloppement et de pouvoir ainsi les retrouver l'annĂ©e suivante. Cette pratique rĂ©pond Ă  un besoin de qualitĂ© des produits proposĂ©s, mais est aussi destinĂ©e Ă  aux loisirs et Ă  une volontĂ© d'autonomie alimentaire suite au succĂšs du manger bio. Certains dans ce mĂ©tier profitent d'une telle situation pour faire du business. Mais on ne fait pas du business avec le jardinage, il faut simplement comprendre qu'il existe une interaction entre la sociĂ©tĂ© et la nature et ainsi vers la protection de notre terre », conclut Henri. Si les notions gĂ©nĂ©rales de jardinage sont les mĂȘmes partout dans le monde, il existe diffĂ©rentes maniĂšres d'agencer son espace jardin. C'est pourquoi lorsque l'on se promĂšne dans les allĂ©es de sa pĂ©piniĂšre Ă  la recherche de trĂ©sors floraux, on dĂ©couvre de belles rĂ©alisations temporaires et permanentes, avec des combinaisons de plantes, fleurs et buissons. Le tout prĂ©sentĂ© dans un dĂ©cor valorisant, tels des bassins aquatiques ou des jardins japonais. Geste Ă©cologique, remĂšde contre l'angoisse ou meilleure façon de faire des Ă©conomies, le jardinage est devenu le hobby favori des Français 13 millions de passionnĂ©s y consacrent leurs week-ends. Droits dans leurs bottes en caoutchouc !Semer, planter, biner, tailler... L'amour des Français pour le jardin n'en finit pas de s'Ă©panouir d'annĂ©e en annĂ©e. A l'occasion des Rendezvous aux jardins», organisĂ©s dans toute la France Ă  l'initiative du ministĂšre de la Culture, 1,5 million de passionnĂ©s pousseront ce week-end les grilles des 2000 jardins qui accueillent le public, dont 400 de maniĂšre tout Ă  fait exceptionnelle. De simples amateurs comme de vrais experts vont s'y prĂ©cipiter, comme ils le font dĂ©jĂ  Ă  l'occasion des nombreuses fĂȘtes des plantes qui, Ă  l'instar de celles de Courson ou de Beauregard en rĂ©gion parisienne, sont devenues des rendez-vous France compte 13 millions de jardiniers du dimanche dont le passe-temps favori consiste Ă  s'armer de bottes en caoutchouc, d'un taille-haie ou d'un rĂąteau pour domestiquer les excentricitĂ©s de la Nature. Ils dĂ©pensent Ă  cet effet plus de 6 milliards d'euros par an, soit 235 euros par mĂ©nage en moyenne. Une somme qui a doublĂ© en vingt-cinq ans, alors que la superficie moyenne des jardins diminuait de moitiĂ©. Neuf foyers sur dix possĂšdent aujourd'hui un espace de jardinage dans leur habitation principale59% un jardin, 47% une terrasse, 32% un balcon... et 50% au moins un rebord de fenĂȘtre fleurissable, au nombre de 57 millions dans l'Hexagone *. Si bien qu'au total la surface jardinĂ©e française est quatre fois plus vaste que celle occupĂ©e par nos espaces naturels protĂ©gĂ©s !Et la crise n'a en rien freinĂ© l'ardeur des jardiniers tricolores. Bien au contraire. Selon les derniĂšres statistiques de Promojardin, association regroupant les principaux producteurs et distributeurs du secteur, le chiffre d'affaires du jardinage a progressĂ© de 2,5% en 2009, quand celui du bricolage baissait de - 2,2%, et ceux de l'Ă©lectromĂ©nager et de l'amĂ©nagement de - 6 % et - 3,1 %. A cela, plusieurs explications. L'hiver, d'abord, particuliĂšrement froid cette annĂ©e. Beaucoup de plantes ont gelĂ©, il a fallu les renouveler, des gĂ©raniums aux plantes de climat doux qui ont le vent en poupe depuis quelques annĂ©es. Par dĂ©finition, les citronniers, oliviers et orangers du Mexique rĂ©sistent moins bien aux hivers rigoureux !Jean-Michel Labat/BiosphotoMais l'engouement des Français pour les plantes dĂ©passe de loin les simples considĂ©rations mĂ©tĂ©orologiques. Pour Marc Gueguen, directeur de la recherche et du dĂ©veloppement chez Truffaut, le regard des Français sur le jardin a profondĂ©ment changĂ© au cours des cinq derniĂšres annĂ©es. Le jardin est devenu un Ă©lĂ©ment de valorisation sociale, un beau jardin, c'est comme avoir un bel intĂ©rieur il y a quelques annĂ©es. C'est aussi une façon d'afficher sa prĂ©occupation pour la prĂ©servation de l'environnement, ajoute-t-il. Jardiner, c'est s'impliquer, Ă  travers un geste individuel, dans la problĂ©matique Ă©cologique !»L'anthropologue Jean-Didier Urbain, auteur de Paradis verts Payot, va plus loin. Pour lui, la passion des Français pour les jardins est rĂ©vĂ©latrice d'une profonde angoisse face au monde tel qu'il va. Il y a eu le 11 septembre 2001, les catastrophes naturelles, la crise, et maintenant l'austĂ©ritĂ© et le problĂšme des retraites... On atteint un point culminant du sentiment de fragilitĂ© de l'individu face Ă  la globalitĂ© Ă  laquelle il appartient, et dont la logique lui Ă©chappe. Le jardin devient un repaire, un lieu secret Ă  l'abri des turpitudes du monde et des soubresauts de la Bourse, un sas qui permet de retrouver un univers oĂč les relations de cause Ă  effet sont encore comprĂ©hensibles. » On plante, on arrose, et ça pousse tout seul enfin presque.... Dans un monde qui va de plus en plus vite, quel bonheur de retrouver les rĂ©alitĂ©s simples du terrain, de redonner du sens au temps et aux saisons, Ă  la pluie et au soleil !Et pas seulement pour le plaisir des yeuxde plus en plus, le jardin devient lieu de production. Les fruits et lĂ©gumes ont la cote. Dans les jardineries, il ne s'est jamais vendu autant de tomates, courgettes, aubergines, salades ou melons ! Selon Promojardin, le chiffre d'affaires des rayons potager» explose littĂ©ralement+ 17% en 2009 contre une hausse de 6% un an plus tĂŽt.Razzia sur les plants de tomates cerisesUne parcelle de 200 mĂštres carrĂ©s assure la consommation annuelle de lĂ©gumes d'une famille avec deux enfants. Avec 400 mĂštres carrĂ©s, on peut avoir des fruits. Le tout pour un loyer mensuel de cinquante euros», explique Jean-Luc Chavanis, auteur de Ces jardins qui nous aident le Courrier du Livre. D'espace d'ornement et de loisir, le jardin est-il en passe de devenir l'instrument d'une possible autarcie? Vous verrez, on va renouer avec le jardin potager d'aprĂšs-guerre !», promet Jean-Didier Urbain. Produire soi-mĂȘme. Manger bio, et surtout savoir ce qu'on met dans son assiette, voilĂ  la grande tendance du moment ! Si l'on possĂšde un jardin, on mĂ©lange artistiquement fleurs et lĂ©gumes pour lui donner un petit cĂŽtĂ© jardin de curĂ© 38% des jardins ont un coin potager; et si l'on habite en ville, on plante des tomates cerises sur son balcon. C'est la plante leader du moment. Facile Ă  faire pousser, ne nĂ©cessitant aucune taille, elle est capable de produire en trois mois de dĂ©licieuses petites tomates, idĂ©ales Ă  l'heure de l'apĂ©ritif. Un plaisir quasi immĂ©diat ! Quand on redoute l'avenir, on se rĂ©fugie dans la joie de l'instant», observe Jean-Didier Urbain, qui ne craint pas de jouer les Cassandre. Peut-ĂȘtre, mais nos jardiniers ne sont pas tous des dĂ©primĂ©s en puissance ! Dans leurs achats, ils plĂ©biscitent les vĂ©gĂ©taux du soleil palmiers, oliviers, lauriers roses, bananiers... et les plantes aromatiques qui viennent ajouter une saveur mĂ©diterranĂ©enne la nostalgie des vacances, toute l'annĂ©e durant, ne doit pas ĂȘtre un trĂšs bon signe aux yeux des sociologues... Ă  la cuisine de tous les jours. La star incontestĂ©e ? Le basilic, qui fait objet d'une demande folle dans les jardineries. Le marchĂ© du vĂ©gĂ©tal est devenu trĂšs sensible aux modes, analyse Marc Gueguen. Les Français veulent composer leur dĂ©cor, varier les espĂšces. MĂȘme s'ils n'ont qu'une jardiniĂšre Ă  fleurir, ils vont marier des dipladenia avec un osteospermum ou une verveine Ă  fleurs, trois nouvelles vedettes en matiĂšre de plantes annuelles. Les jardiniers d'aujourd'hui sont beaucoup plus dĂ©co » que ceux des gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes !»Les massifs Ă  l'ancienne, composĂ©s de 50 oeillets d'Inde, bĂ©gonias ou impatiens, c'est fini. Idem pour les rosiers, dont les ventes sont en chute libre. Le massif monothĂ©matique Ă  base de roses est devenu limite ringard aux yeux des bobos aux pouces verts. DĂ©sormais, le rosier se doit de cohabiter avec d'autres arbustes Ă  fleurs. Au nom de la diversitĂ© et du vĂ©gĂ©talement correct !* Etude Promojardin, avril 2010. J'aime l'herbe et mon chien et peut-ĂȘtre 3 personnes PosterPar ami28QU'A FAIT LE CADEAU FOX DIT PosterPar MakaWatiTout ce que je veux c'est l'amour et le yoga et un chien PosterPar al Kamali ✹Avant de me dire ce que j'ai fait de mal, tu devrais d'abord savoir que je m'en fiche PosterPar pnkpopcornPromenade de chien dans la neige PosterPar Wolf-RoarChien Maman Ruff... PosterPar Ibn-El-Wadichien maman Ruff PosterPar Ibn-El-WadiCe n'Ă©tait pas moi ! Oh ça... ouais c'Ă©tait moi PosterPar pnkpopcornT-shirt de sol homme femme PosterPar wydadalagrandeT-shirt de sol homme femme PosterPar wydadalagranderetour le barbz PosterPar jatpartshopCĂ©lĂ©brez le jour du souvenir du 19 juin 1865 PosterPar theGOTRoe Roe Roe Votre vote PosterPar ART LUXEDĂ©solĂ© patron, vous pouvez soit vous attendre Ă  ce que je travaille bien avec les autres, soit passer un test de dĂ©pistage de drogue, je ne peux pas faire les deux PosterPar pnkpopcornDrapeau du jour de la libertĂ© du 19 juin - Souvenir PosterPar theGOTWyoming NĂ© au Wyoming État du Wyoming Cadeau patriote du Wyoming Ville natale du Wyoming T-shirt en coton unisexe PosterPar karim82Restez au top PosterPar you-in-hereNous respectons nos professeurs PosterPar majdjordanJe suis fou, ne me fais pas descendre de cette licorne et te frappe Ă  la gorge PosterPar pnkpopcornMemorial Day Rappelez-vous le millĂ©sime militaire des vĂ©tĂ©rans tombĂ©s PosterPar GojoDesignVintage au nord PosterPar FishingMerchVivez bien Riez souvent Aimez beaucoup sur le bois PosterPar MayaYatesTrouver un endroit pour grandir 10 Sticker PosterPar klam ★★★★★Trouver un endroit pour grandir, squelette PosterPar jatpartshoptoujours ĂȘtre courageux 19 PosterPar ThewhiteduckCrĂąne biker moto PosterPar AbdelghanikhJe ne suis pas vieux, je suis une voiture classique PosterPar AbdelghanikhCrĂąne anonyme 3D PosterPar AbdelghanikhgĂ©nial poing uni PosterPar Quotesart19Quelqu'un en Arizona m'aime PosterPar PSYSTICKSPetite ville USA Western 4 juillet patriotique PosterPar RKFashionDesignMANGER SOMMEIL ÉCONOMIE RÉPÉTER PosterPar AchrafDesignerLance Stephensons Magic Moment Born Ready Indiana PosterPar DCScoundreLa vie a Ă©tĂ© faite pour de bons amis et une grande aventure T-shirt drĂŽle d'aventure. PosterPar ClouthHouseTrois souris des champs PosterPar DobertMundellLa vallĂ©e perdue PosterPar KensonVinsonFeuilles rouges d'un sumac de Virginie PosterPar MaxACarterEagle Falls et Emerald Bay Lake Tahoe PosterPar GinaAinisticMouvements Merch Chemise de temps de pĂȘche PosterPar gracesxrobinLawiribe vignes vertes T-shirt classique. 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celui qui plante un jardin plante le bonheur